Le Mans

Analyse - Pourquoi la BoP de l'Alpine a-t-elle à nouveau été révisée ? (+ réaction Philippe Sinault)

24 Heures du Mans
10 juin. 2022 • 23:45
par
Thibaut Villemant, au Mans
De façon surprenante, la Balance de Performance de l'A480 n°36 a été revue pour la deuxième fois en deux jours. De quoi entraîner la surprise dans le clan français, comme nous l'a confié son team principal Philippe Sinault.
L'Alpine A480 a encore vu sa BoP modifiée avant la course. © MPS Agency

Que reproche-t-on à Alpine ?

Ce matin, en conférence de presse, le clan Alpine ne masquait pas sa fierté d'avoir donné du fil à retordre aux Toyota (voir ICI). Mais depuis l'Hyperpole hier, les spéculations vont bon train dans le paddock. En cause, le chrono de Nicolas Lapierre, qui a parcouru les 13,626 km du circuit en 3'24''850, à seulement 0''442 de la pole. Jusque-là, on pourrait se dire que la BoP est parfaite, puisque celle-ci est censée donner égale chance de victoire aux concurrents de la catégorie en question. « Glickenhaus n’est qu’à une seconde derrière et nous sommes toujours un peu moins rapides en course », nous a soufflé Philippe Sinault

 

 

Reste qu'avec 23 kW (32 chevaux) en moins que l'année passée, Nico a roulé près de sept dixièmes plus vite. Comment l'expliquer ? « La piste était bonne, et Nico a bénéficié de l'aspiration d'un concurrent avant Mulsanne, nous a-t-on assuré. Et jamais, l'an passé, il n'a vraiment chercher à titiller le chronomètre, bien conscient que la pole était hors de portée. »

 

Cet après-midi, la sentence est tombée : décision est prise par le tandem ACO/FIA de revoir une nouvelle fois sa Balance de Performance (voir ICI). La puissance de l'Alpine passe de 427 à 417 kW, soit un niveau moindre que celui dont jouissait l'A480 lors de la Journée Test et mercredi, à savoir 420 kW.

Pourquoi ce revirement de situation ?

Si cela est une interprétation qui n'engage que nous, cela sonne comme une sanction. Il semble être reproché à l'équipe tricolore d'avoir caché son jeu pour quémander une révision de la BoP en sa faveur entre la Journée Test et la journée du jeudi. 

 

« La mise en place de cette BoP est un exercice très compliqué, nous a confié Philippe Sinault. Depuis la Journée Test, la position de notre voiture est délicate. Nous avons été entendus et ils (les instances dirigeantes. Ndlr) nous ont aidés en ramenant la voiture dans la bonne fenêtre. Résultat, nous sommes 3e, à quatre dixièmes des Toyota. À la question de savoir si nous avons caché notre jeu, il va de soit que non. Je connais trop bien ce sport, et si j'avais voulu procéder ainsi, j'aurais attendu la course pour dévoiler mes cartes et n'aurais pas joué l'Hyperpole. »

© MPS Agency

Et ce chrono signé par son pilote fétiche, s'y attendait-il ? « Non, nous a répondu notre interlocuteur. Nous nous sommes rapprochés bien plus que nous l’imaginions. Nous pensions terminer à une seconde, une seconde et demie. Mais durant ce tour, nous avons tout aligné et Nico a bénéficié d'une aspiration incroyable avant Indianapolis. »

 

Et ce avant de reprendre : « Il y a des règles et un arbitre qui prend des décisions et que nous respectons. Mais celle-ci, nous ne la comprenons pas. Je trouve que le réajustement est dur. »

 

Il pourrait avoir en effet des conséquences fort néfastes pour le trio Matthieu Vaxiviere-Nicolas Lapierre-André Negrao. Mais surtout, ce que Philippe Sinault ne veut pas, c'est que l'on « remette en cause notre loyauté », et par la même occasion l'esprit sportif de son entité.

Quelles conséquences pour Alpine ?

N'étant pas en mesure de le dire, nous avons tout simplement posé la question à Philippe Sinault pour en avoir le cœur net. Et à croire l'intéressé, elles seraient inquiétantes.

 

« Je pense que nous allons concéder un déficit de deux secondes au tour, et que nous n'allons pas faire 12 mais 11 tours par relais, déplore-t-il. Et nous en bouclerons non pas un moins bien deux de moins que Toyota par relais. »

 

De quoi, à la régulière, encore diminuer les chances de victoire de la n°36, déjà minces tant Toyota domine son sujet dans la Sarthe. En performance pure, elle devrait se placer derrière les deux Glickenhaus. « Et nous devrions avoir du mal à doubler les LMP2, ce qui va grandement nous compliquer la tâche dans le trafic » nous a glissé l'un des trois pilotes. Chez les Bleus, plus que jamais, on se dit condamné à une course d'attente.

© MPS Agency

Que penser de cet imbrOglio ?

Souvent, nous, journalistes, sommes interrogés sur les décisions prises par le législateur concernant la BoP. Mais nous n'avons pas accès à toutes les analyses de données sur lesquelles se basent ce dernier. Et encore moins aux directives dictées par les équipes à leurs pilotes. Même pour nous, la zone d'ombre est conséquente... En GTE Pro, c'est clair, aucun des trois constructeurs n'a joué à fond l'Hyperpole. Nick Tandy (Corvette C8.R) s'est adjugé la pole en 3'49''985. Un chrono à rapprocher de la pole de l'an passé (3'46''011) et du meilleur tour en course (3'47''501). Risible n'est-ce pas ? 

 

Mais qu'en est-il en Hypercar ? L'écurie Alpine a-t-elle caché son jeu jusqu'à la troisième séance d'essais libres ? Si la performance signée en Hyperpole nous a grandement surpris, nous n'en savons rien. Peut-être est-ce le cas, peut-être non, seuls les principaux intéressés le savent hélas. C'est, en tout cas, ce que semble penser le législateur, surpris par l'écart de chrono entre les EL3 et l'Hyperpole : - 4''4. Ce qui est énorme, même s'il faut prendre en compte un réglage plus « agressif » pour l'Hyperpole.

 

Une chose est sûre, ce débat autour de la Balance de Performance vient polluer cette 90e édition bien plus intéressante qu'il n'y paraît, en plus de donner un arrière-goût amer à cette Hyperpole pourtant si excitante à laquelle il nous a été donné d'assister hier. Et ça, nous le regrettons grandement ! Déjà complexe à mettre en place en GTE, ce stratagème totalement contraire aux fondamentaux du sport automobile semble plus ardu encore à gérer dans la catégorie-reine.

 

Tous ces débats et la prise de pouvoir de la politique sur le sportif font de l'ombre à notre sport favori. Laisse-t-on trop les concurrents larmoyer ? Le système de BoP est-il tout simplement adapté et maîtrisé ? Alors que l'Endurance a tout pour vivre, ces prochaines années, l'une des belles ères de son histoire, attention à ne pas tout gâcher...

 

Bon nombre de constructeurs – et non des moindres ! - sont en approche. Certains avec des quatre roues motrices non permanentes, d'autres avec de simple propulsion, avec des pneus de tailles différentes, des concepts différents... Mais tous s'attendent à avoir des chances de jouer la gagne à chaque week-end de course, comme le leur laisse sous-entendre la BoP.

 

Mais nous avons un scoop, à la fin de chaque épreuve il n'y aura qu'un vainqueur... Les déçus s'en iront-ils alors tous crier à l'injustice auprès du législateur ? Est-ce réellement à ça que les fans souhaitent assister ? Au vu de vos réactions sur les réseaux sociaux, cela ne semble pas être le cas. C'est sur la piste et non en coulisses que la lutte pour la gagne doit se dérouler...

 

 

 

Commentaires (13)

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Guillaume

11 juin. 2022 • 9:48

Je ne crie pas à la corruption et je ne doute pas de la volonté de l'ACO d'équilibrer les performances, la rehausse du déclenchement du système hybride de la Toyota à 190 kmh en est une belle preuve.

Ce que j'écris c'est que je pense qu'ils ont fait une erreur de jugement concernant Alpine et ça c'est dommageable pour l'intérêt de la course, d'où la frustration.

Mais je regarderais quand même ?

CLOCLO31

11 juin. 2022 • 10:00

C'est facile de hurler avec les loups et de crier au complot , à l'attentat sportif et et à la mascarade avec cet imbroglio :
Il y a 2 fautes à reprocher aux "instances" :
-La première, c'est d'avoir accepté une nouvelle fois de faire courir une voiture de conception ancienne mais potentiellement capable, surtout par son aéro et aussi son moteur, de mettre 10 secondes au tour aux Hypercars, en sachant que les principaux paramètres de réglage de la BOP sont limités en nombre et sont essentiellement de nature mécanique (puissance, conso, poids, etc...)
-La deuxième, c'est de s'être précipités pour réajuster la BOP de le Rebellion avant la séance d'hyper-pôle, pour se déjuger ensuite après cette dernière : ils auraient pu attendre et l'effet médiatique est effectivement catastrophique

Pour autant, il faut arrêter de prendre les gens de la FIA/ACO pour des jambons ou des suppôts de Toyota ou Ferrari : ils ont accès à tous les datas des voitures mais ensuite les corrections de performance sont probablement simulées à partir de modèles numériques, avec un écart possible entre simulations et réalité en piste.

On n'a surtout pas fini de parler de BOP....

Tique

11 juin. 2022 • 11:02

Bon article, comme écrit je pense que Phillipe Sinault et son écurie sont intègres et ne jouent pas avec les règles.
Je pense que le sentiment de beaucoup est la frustration car une bonne BOP a été atteinte.
La table a été renversée et nous aurons une moins bonne course. Nous verrons cela dimanche. 2 sec au tour, cela fait grossi modo 6 tours de retard en 24 h.

iona

11 juin. 2022 • 12:08

c est honteux de faire de telle manipulation pour favoriser une équipe plus qu une autre et les personnes qui payent pour voir un spectacle et tous les admirateurs d une équipe comme alpine vont etre déçu a en éteindre leur télé .c'est du grand n'importe quoi ou plutot une histoire d'argent ...

wizztiti

11 juin. 2022 • 12:37

Soyons lucides : l'ACO aime le storyTelling (choisir les favoris) depuis AU MOINS l'époque AUDI Diesel. Si le processus de BOP est obscur, c'est justement pour cette raison. Le système de BOP à fenêtre sur des critères incontestables était intéressant, mais je suis sûr qu'il sera dévoyé au moins pour LeMans. C'est bien triste, parceque ces victoires acquises sans lutte contre les autres n'ont que bien peu de valeur, et que ces courses sont beaucoup moins intéressantes. Pas la peine de chercher trop loin le manque d'intérêt des spectateurs.