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Entre design et innovation, Michelin révolutionne le pneumatique de compétition

WEC
IMSA
5 juin. 2025 • 17:00
par
Thibaut Villemant
Le manufacturier clermontois a levé le voile sur les gommes qui équiperont à compter de l'année prochaine les autos engagées en Hypercar (WEC) et en GTP (IMSA). Un nouveau design, mais pas uniquement...
© Michelin

Souvenez-vous, fin juillet dernier, en totale concertation avec les législateurs et les concurrents, Michelin décidait de repousser l'arrivée en compétition de sa nouvelle gamme Hypercar / GTP. « Après discussion, nous avons décidé de décaler son introduction à la saison suivante (2026. Ndlr), nous avait confié le directeur de Michelin Motorsport Matthieu Bonardel. La gamme actuelle fonctionnant bien, autant finaliser la prochaine correctement, en totale collaboration avec les teams. Nous voulons amener de l'innovation, mais sans créer de problèmes. »

 

Il faut dire, notamment, que Michelin n'avait pas été aidé par la météo, fort capricieuse lors des journées d'essai organisées pour tester ses nouveaux produits. Depuis, les séances se sont enchaînées et le travail a continué. L'avant-dernière séance, à laquelle nous avons été conviés, s'est tenue le mercredi 14 mai au Paul-Ricard.

Pourquoi changer ?

A cette question, c'est encore Mathieu Bonardel qui y répond le mieux. « Il serait tentant, face à la réussite technique et sportive que nous connaissons avec notre

gamme Endurance actuelle, de choisir la stabilité, a souligné le directeur de Michelin Motorsport. Depuis l’arrivée des prototypes de la catégorie Hypercar, les voitures ont gagné chaque année une seconde au tour en optimisant l’exploitation de leurs gommes. Dès lors, pourquoi redévelopper une nouvelle génération de pneus ? »

 

La question a, en effet, le mérite d'être posée. « Parce que c’est précisément quand tout fonctionne qu’il faut oser aller plus loin, enchaîne-t-il. Chez Michelin, l’innovation n’est pas une réponse à une défaillance. Elle est une démarche volontaire, ''anticipatrice'' et visionnaire. Et aujourd’hui plus que jamais, notre capacité d’innovation se met au service d’un impératif : la durabilité. »

Photo : Porsche

Un beau défi, surtout sans dégrader le niveau de performance et la longévité de ses produits. D'autant que quittant le MotoGP, l'Endurance est la dernière discipline de renom permettant à la marque de promouvoir son savoir-faire sur les circuits.

We race for change

La durabilité est indéniablement le mot à la mode à tous les étages de la société, et dans l'industrie automobile encore plus qu'ailleurs. Michelin y est sensible depuis un certain temps déjà, mais a décidé d'accélérer sa phase de transition.

 

Le manufacturier tricolore a pour ambition d’intégrer 40% de matériaux renouvelables et recyclés en moyenne sur l’ensemble de ses gammes d’ici 2030 (31% à fin 2024). Un pourcentage qui se réfère à la part des matériaux renouvelables ou recyclés dans les achats totaux de matériaux du Groupe. Le but final ? Atteindre les 100% de matériaux renouvelables et recyclés en 2050. Un défi colossal puisqu'on parle là de 200 millions de pneumatiques à l'échelle du groupe.

 

Michelin Motorsport suit bien évidemment le changement de cap induit par le vaisseau amiral, et est allé jusqu'à changer son slogan, devenu : We race... for change. Indéniablement, plus que jamais, la branche compétition doit jouer son rôle de laboratoire technologique.

 

« Nous avons engagé un travail de refonte totale de notre gamme Endurance, avec un objectif clair : intégrer 50% de matériaux durables (contre environ 30% actuellement. ndlr) dans la composition de nos futurs pneumatiques, tout en augmentant l’ensemble des performances, explique Matthieu Bonardel. Relever ce défi a nécessité de repenser en profondeur nos matériaux, nos procédés, nos règles de conception. »

© Michelin

50%, c'est une quantité très significative. Certes Michelin a fait encore mieux avec un pneu de démonstration dont la quantité de matériaux durables culmine à 70%, mais celui-ci n'a été produit qu'à seulement 100 exemplaires. Pareil avec les pneumatiques de MotoE (plus de 50%), mais dont la quantité produite chaque année ne dépasse pas 2000 unités. Là, nous parlons de 30 000 produits qui sortiront chaque année de l'usine de Cataroux, qui plus est sur des machines autrement plus exigeantes.

 

« Mais la durabilité ne se limite pas aux matériaux recyclés et renouvelables, enchaîne  Philippe Tramond, directeur technique de Michelin Motorsport. Elle concerne également l'ensemble du cycle de vie des produits. Et généralement, vous constaterez que nous travaillons également sur d'autres sujets, d'autres éléments tels que la recyclabilité des pneus et la longévité. »

 

Michelin garantit par ailleurs une traçabilité physique effective des matériaux durables utilisés, sans recourir à l’achat de crédits auprès de fournisseurs de matières premières.

 

Il est d'ailleurs intéressant de noter que depuis début 2025, l'entreprise auvergnate collabore avec la société Enviro (Start-up suédoise fondée en 2001 ayant développé une technologie innovante de pyrolyse pour recycler les pneumatiques en fin de vie) sur un programme ambitieux de recyclage pour les pneus utilisés en WEC. Plusieurs tests ont été déjà réalisés et ce programme devrait se mettre en place progressivement d’ici 2026.

Quid du développement ?

Certes, la durabilité est aujourd'hui un enjeu majeur. Mais hors de question pour Michelin que cela se fasse au détriment de la qualité du produit. Tout d'abord, il ne faut pas oublier que La gamme Endurance actuelle, développée uniquement sur simulateur, avait été pensée pour une catégorie Hypercar encore naissante, sur la base de composants connus, avec des voitures qui ont dû s’adapter à des pneus conçus pour elles.

Pierre Alvès, Philippe Tramond et Cyrille Roget - © Michelin

« Si l'objectif final est d'atteindre au moins le niveau et les performances de la gamme de pneus existante, pour y parvenir, nous devons tout changer à l'intérieur du pneu, a expliqué  Philippe Tramond. Il s'agit d'une refonte en profondeur de celui-ci. C'est comme si vous deviez préparer un bon plat, mais avec des ingrédients différents de ceux habituellement utilisés. Vous devez apprendre et comprendre comment ces nouveaux ingrédients réagissent et interagissent, comment ils se comportent. Il vous faut trouver la bonne recette pour qu'ils fonctionnent tous ensemble. »

 

La gamme 2026, dont le développement a débuté en 2023, est non seulement nouvelle, mais également beaucoup plus complexe. En grande partie en raison d'une méthode de développement totalement revue en raison des inconnues liées à l’évolution des composants, certains n’ayant jamais été intégrés à des recettes de gommes de compétition. Onze nouvelles matières premières ont été testées, sept ont été sélectionnées. Quatorze briques techniques ont été testées, cinq ont été sélectionnées. Un processus séparé en trois phases distinctes.

 

  • Simulation : Modélisation par éléments finis, permettant d’anticiper les efforts mécaniques et thermiques subis par chacune des parties du pneumatique en conditions extrêmes. Grâce à ses propres logiciels de simulation, Michelin est capable de reproduire les comportements dynamiques et thermiques de chaque composant dans l’environnement complexe d’un prototype d’Endurance.

 

  • Simulation informatique : une fois le modèle de référence établi et les nouvelles technologies intégrées à base d’apprentissage, elle a permis d’explorer de nouvelles pistes techniques grâce aux outils de modélisation de Michelin. En outre, les simulations sont complétées par des essais virtuels, réalisés par un pilote professionnel.

 

  • Essais piste : Une fois les simulations numériques terminées, les premiers prototypes de pneus peuvent être fabriqués. Avant leur test sur circuit, ils subissent une série de tests dynamiques sur banc, dans les laboratoires Michelin. Ces essais constituent les premiers tests physiques et le dernier lien entre la théorie et la pratique d’essais sur circuit, qui reste le juge de paix. Le roulage avec les écuries partenaires de Michelin dans le cadre d’essais routiers permet de relever des données impossibles à capter autrement, qu’il s’agisse de l’effet véhicule-pilote ou de l’interaction pneu-sol.
    © Michelin

Que Michelin a-t-il souhaité améliorer ?

Patience, nous y voilà. Alors au final, qu'est-ce que le manufacturier français a-t-il souhaité améliorer sur sa gamme actuelle (2022-2025) ? Tout d'abord, il est bon de rappeler qu'il s'agit de la première à se dispenser d'armoires chauffantes, là aussi pour des raisons écologiques.

 

« Nous nous sommes fixés des objectifs qui convenaient à tout le monde, a fait savoir Philippe Tramond. Nous parlons là de sécurité, de performance et aussi de mise en température, avec des améliorations d'une poignée de secondes sur les tours de sortie (on parle de près de cinq secondes sur un circuit classique. Ndlr). Nous avons aussi travaillé sur la longévité, notamment sur le médium, qui était un point à améliorer. »

 

« Le promoteur, pour des questions de BoP, nous a également demandé à ce que la phase de transition entre les différentes spécifications se fassent de manière plus douce, a-t-il enchaîné. Cela permettra à différentes voitures de rouler avec des spécifications différentes pour un niveau de performance équivalent. »

 

Le but, annihiler l'avantage qu'a Toyota, qui connaît, comprend et utilise les différentes gammes bien mieux que la concurrence, comme l'a notamment démontré l'édition 2024 des 6 Heures de Sao Paulo. En clair, il ne faut plus que la spécification choisie ait un impact sur la performance...

 

« Le premier point de travail, c'est la mise en température, qui est le point faible de la gamme actuelle, enchaîne Pierre Alvès, directeur des programmes Endurance chez Michelin Motorsport. Mais cela affecte forcément l'usure des pneus, dont l'ennemi est justement la chaleur. Or, s'il s'use plus rapidement, il va perdre en constance. Il nous a donc fallu trouver un compromis pour accélérer la mise en chauffe tout en diminuant l'usure et garder un pneu constant. »

© Michelin

Et la performance ? « L'objectif n'est pas d'aller plus vite, nous a-t-il répondu. Cela n'a aucun sens dans une catégorie régie par une BoP. Ce que nous recherchons, c'est une équité, que les pneus fonctionnent bien sur toutes les voitures et tous les circuits. »

 

En clair, durabilité a été le maître-mot, et la complexité a été, malgré l'utilisation de nouveaux matièriaux, de conserver un niveau de performance égal, mais avec une mise en température plus rapide, une constance accrue et une plus grande phase de recouvrement entre les différentes spécificités. Si tel est le cas, alors l'exploit sera à souligner...

Et maintenant ?

Lors de notre venue au Paul-Ricard mi-mai, Philippe Tramond nous a avoué que « la carcasse, c'est-à-dire la partie structurelle du pneu, est déjà figée. Ce que nous ajustons réellement encore, c'est le composé. » Après être notamment passé en 2024 par Portimão, Austin et Bahreïn puis en 2025 par le Qatar, Sebring et le Paul-Ricard, Michelin va effectuer une ultime séance d'essai à Watkins-Glen, le 23 juin.

 

Les décisions finales seront ensuite prises dans le courant du mois de juillet puis, les choix entérinés, une phase d'industrialisation de l'usine – longue de un mois – sera nécessaire.

 

La production débutera en septembre, pour une première sortie publique lors de l'IMSA Sanctioned Test de Daytona, fin novembre. Quant aux concurrents du WEC, ils pourront avoir des produits à disposition dès la mi-novembre pour mener à bien leurs séances d'essais privés servant de préparation à la campagne 2026.

© Michelin

Petite précision, nous ne parlons là que de la gamme slick. Si le travail sur le futur pneu Pluie a déjà débuté, il n'est pas question aujourd'hui que celui-ci introduit en 2026.

Et le design dans tout cela ?

Et oui, vous avez tous dû vous demander en voyant la photo d'ouverture de cet article pourquoi le bande de roulement était ainsi. Qu'est-ce qui ressemble plus à un pneu qu'un autre pneu, ce morceau de caoutchouc rond et noir ? Dur de se distinguer en dehors du logo apposé sur le flanc. « Nous nous sommes posés la question de savoir comment nous pouvions faire pour montrer qu'il y avait de l'innovation » nous a expliqué Pierre Alvès.

 

Ces pneus slicks, qui seront utilisées du début de la saison 2026 à la fin de la saison 2029, proposent en effet un design "inédit" et judicieux. Tout comme en MotoE, Michelin a habillé leur bande de roulement d’une livrée éphémère en velours. Ce design appelé « Race to Vision » évoque le design du Concept VISION présenté en 2017 et qui est l’illustration du modèle de développement durable de Michelin dans le domaine du pneu.

 

Ce concept s'inspire du biomimétisme, une approche qui trouverait son origine chez Leonard de Vinci qui déjà, il y a plus de 500 ans, recommandait d’observer la nature pour nourrir sa capacité d’innovation, explique Michelin. Pour VISION, cela se traduit notamment par une structure alvéolaire, semblable à celle d’un corail, à la fois souple et rigide. VISION a été conçu comme un objet naturel qui peut se regénérer à l'infini : sa naissance, sa croissance, son renouvellement et jusqu’à sa fin de vie s’inscrivent dans un processus sans dommage pour l’environnement.

© Michelin

 

Commentaires (2)

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jorishackin1972@gmail.com

5 juin. 2025 • 18:54

Bonjour, je ne suis pas français. Mais sur mes voitures, je ne mets que du Michelin. Assurément les meilleurs pneus.
Et quand on voit ce qu ils font en compétition ,juste merveilleux.

LedZeppelin

6 juin. 2025 • 10:28

C'est vraiment très intéressant, ils donnent du sens à leur engagement en compétition, ce n'est pas qu'une vaste opération marketing avec des pneus en mousse sensés apporter du piment à la compétition.