Le Mans / ELMS

David Heinemeier-Hansson (Nielsen Racing) : « J'apporte une partie de l'argent et une partie du talent »

24 Heures du Mans
European Le Mans Series
8 avr. 2024 • 9:30
par
EI
Le Danois, qui a vu sa saison prendre une tournure inattendue qui le verra disputer ses 11e 24 Heures du Mans, a profité de l'occasion pour se plonger dans une réflexion sur le sport automobile, l'avenir de la mobilité ou encore les années qui passent...
© MPS Agency

David Heinemeier-Hansson est un personnage atypique. Programmeur informatique hors-pair, créateur de la framework Ruby on Rails, sacré hacker de l'année en 2005 par Google et O'Reilly, il se découvre un talent certain pour le pilotage peu de temps plus tard.

 

🇬🇧 David Heinemeier-Hansson (Nielsen Racing): "I bring some of the money and some of the talent"

 

En somme, un homme à qui tout réussit. Son talent est tel que cinq ans à peine après avoir effectué ses tout premiers tours sur un circuit le Danois s'est retrouvé au départ de l'édition 2012 des 24 Heures du Mans et s'est vite imposé comme l'un des meilleurs gentlemen drivers de la grille.

 

Deuxième du LMP2 en 2013, vainqueur du GTE Am l'année suivante puis 3e en 2016, il participera en juin prochain à sa 11e classique sarthoise sur l'Oreca 07 n°24 du Nielsen Racing au côté, notamment, du tenant du titre en LMP2 Albert Costa.

 

Et pourtant, DHH n'y croyait plus, comme il l'explique dans une chronique qu'il tient régulièrement sur internet. Un retournement de situation qui l'a poussé à se lancer dans une réflexion loin d'être inintéressante sur ce sport qu'il aime, mais pas uniquement. En voici la traduction :

Première participation aux 24 H. du Mans, en 2012, sur une Morgan LMP2 du Oak Racing partagée avec Bas Leinders et Maxime Martin - © MPS Agency

Ce sera ma 11e tentative. La première fois que je me suis présenté sur la grille de départ du Mans, c'était en 2012 ⬆️, cinq ans après avoir piloté pour la première fois une vraie voiture de course, et encore moins de temps après avoir fait d'une participation à la plus grande course d'Endurance du monde mon objectif ultime. Et pourtant, cette année, ça a failli ne pas se faire.

 

Le sport automobile repose sur un curieux mélange d'argent et de talent. Il ne suffit généralement pas d'être bon pilote pour obtenir un baquet. La majorité des équipes, en particulier en Endurance, sont ou ont été financées par des particuliers passionnés qui apportent le budget nécessaire pour une inscription en course. Même en Formule 1, cela fait partie du business.

 

J'apporte une partie de l'argent et une partie du talent, mais jamais assez pour permettre à moi seul de monter un programme d'envergure comme l'est une participation au Mans. Je dois m'associer à d'autres pilotes qui apportent eux aussi une partie du budget et encore un peu plus de talent, voire à des pilotes qui n'apportent que leur talent, autrement plus grand. Oh, et il faut aussi trouver une équipe qui a de préférence quelques sponsors pour compléter le tout. C'est toujours une danse à plusieurs.

Sur la plus haute marche du podium GTE Am en 2014, avec Kristian Poulsen et Nicki Thiim - © Aston Martin Racing

Et il semblerait que ce n'est pas cette année encore que le bal va s'arrêter. Beaucoup de discussions, d'idées, mais pas de contrat, pas de signature. Jusqu'à ce que, soudainement, il y a quelques semaines, un pilote renonce à son engagement. Et voilà qu'un siège chez Nielsen Racing pour l'European Le Mans Series et les 24 Heures du Mans s'est libérée pour moi. Génial !

 

Mais nous traversons une période étrange en ce qui concerne le monde de la course. D'un côté, il s'agira peut-être des 24 Heures du Mans les plus passionnantes de l'histoire en termes d'implication de constructeurs de premier plan : Ferrari, Porsche, Lamborghini, Toyota, Cadillac, BMW, Peugeot et Alpine s'affronteront au moins de juin en France. Rien d'étonnant à ce que la course soit sold out depuis le mois de novembre.

 

En revanche, personne ne semble savoir de quoi sera fait l'avenir de la voiture. Tout va-t-il devenir électrique ? L'IA nous conduira-t-elle bientôt ? Qui récoltera les fruits de cette transformation ? Les fabricants de logiciels de la Silicon Valley ou les fabricants de batteries en Chine ? Qu'en est-il des marques automobiles historiques européennes ?

 

Nous pourrions penser qu'un tel niveau d'incertitude quant à l'avenir aurait atténué la volonté des constructeurs automobiles de dépenser sans compter dans des programmes sportifs nécessitant des gros budgets. Pourtant, la Formule 1 et les courses d'Endurance n'ont jamais été aussi populaires. Curieux n'est-ce pas ?

DHH, ici sur la grille de départ du Circuit des Amériques (Austin) en 2017, est désormais père de famille - © Porsche

Ce n'est pas que je m'en plaigne, bien au contraire. Il est plutôt étonnant de pouvoir participer à un tel âge d'or du sport automobile. C'est un privilège pour un amateur que de pouvoir se présenter au Super Bowl, à Wimbledon ou à la finale de la Coupe du monde et de se mesurer aux meilleurs pilotes de la planète.

 

D'autant plus que je sais que cela ne durera pas éternellement. J'avais 32 ans quand j'ai débuté au Mans. Aujourd'hui, j'en ai 44. Les pilotes ne s'améliorent pas après quarante ans, c'est un fait. La plupart d'entre eux ont déjà pris leur retraite. Fernando Alonso, à 42 ans, est l'exception qui confirme la règle. Je continue donc d'attendre que ma baisse de régime arrive, d'une minute à l'autre. Que mes temps au tour chutent, d'abord un peu, puis beaucoup. Ou que le taux d'incidents augmente. Nul ne sert de lutter contre la nature, cela arrivera.

 

Mais peut-être de par le fait que je ne suis pas nanti de ce talent ultime serai-je épargné un peu plus longtemps. Peut-être me donnera-t-on encore quelques courses au sommet de mon art, avant que ne survienne l'inévitable déclin.

 

Je ne dis pas cela avec inquiétude. Je suis en paix avec le cercle de la vie, son lot de déclins inévitables et sa finalité. Personne ne peut être éternellement le meilleur, quel que soit le domaine. Et certainement pas quand ça touche le physique. Il y a même un certain soulagement à savoir que rien de tout cela - ni la course automobile, ni la programmation, ni l'entrepreneuriat - n'est destiné à durer éternellement.

10e et dernier départ à ce jour aux 24 H. du Mans, en 2023, sur l'Oreca 07 du Team Jota - © MPS Agency

Cette pilule existentielle est peut-être plus facile à avaler quand on a des enfants. Voir mes trois enfants être plus rapides chaque jour sur leurs kartings, qu'ils finissent ou non en auto, me fait penser au proverbe : Une société grandit lorsque les vieillards plantent des arbres dont ils savent qu'ils ne pourront jamais s'asseoir à l'ombre.

 

Là, on s'éloigne vraiment du sujet, mais c'est peut-être l'un des aspects les plus gratifiants d'avoir des enfants. Cette acceptation biologique de la finalité. Je n'ai pas besoin de vivre éternellement, parce que la lignée humaine dont je fais partie, et qui a des millions d'années, va continuer. Avec des voitures de course ou non.

 

Mais cela nous ramène à l'un de mes aspects préférés du pilotage d'une voiture de course à grande vitesse : Il n'y a pas de temps pour la réflexion existentielle ! Toute votre attention doit être concentrée sur la négociation parfaite du prochain virage, sous peine de perdre un dixième de seconde ou de commettre une erreur qui vous enverra, vous et la voiture, dans le mur. Tout le reste doit disparaître pour que votre attention soit totalement focalisée sur votre tâche à accomplir : Aller vite, sans se crasher.

Commentaires (2)

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Surgères

8 avr. 2024 • 12:37

Article passionnant !

Fastdriver

8 avr. 2024 • 17:20

Belle réflexion sur le sport auto...et la vie.