Le Mans

24H du Mans 2023 – Le rêve éveillé de Jessica Hook, « directrice de cabinet » de la Nascar Garage 56

24 Heures du Mans
3 avr. 2023 • 11:15
par
Traduit de Nascar.com
Chad Knaus aime à l'appeler sa "directrice de cabinet". Focus sur cette fan de Nascar depuis toujours devenue l'un des éléments-clés du projet Garage 56 mené par Hendrick Motorsports.
© NASCAR.com

Jessica Hook ne va pas tarder à aller se coucher. Mais pas avant d'avoir avalé une pizza. Le premier test d'endurance de la Chevrolet Camaro ZL1 du Garage 56 sur le circuit Sebring touche à sa fin. L'équipe Hendrick Motorsports a coché une case importante de sa to-do-list, en roulant 24 heures d'affilée. La séance s'est déroulée sans accroc, à tel point que l'équipe a choisi d'étendre le roulage de quatre heures supplémentaires. Jessica n'a pas fermé l'oeil, surveillant la consommation de carburant, enregistrant les chronos ou encore le temps passé par les pilotes au volant... La voiture et l'équipe ont été poussées à leurs limites. Si elle assure être dans un état second, elle est également habitée par le soulagement et la sentiment du devoir accompli.

 

Quand est venu le temps de plier bagage, des pizza – commandées par le vice-président de la compétition chez Hendrick Chad Knaus – attendaient l'équipe dans l'avion privée de la formation américaine. En face d'elle : Jimmie Johnson, la légende de la NASCAR. Knaus, le chef d'équipe de Johnson pendant toutes ces années, est installée dans la rangée suivante, non loin de Jeff Gordon, aujourd'hui vice-président de Hendrick. Gordon qui, pour l'anecdote, était le pilote préféré d'Aimee, la sœur aînée de Hook. Jessica supportait pour sa part la Chevrolet noire n°3 de Dale Earnhardt.

 

Johnson, Knaus et Gordon sont trois légendes de l'histoire de Hendrick, un trio qui totalise 18 titres en Cup Series. « J'ai grandi en regardant ces gars, lâche Jessica. C'est eux qui m'ont donné envie de faire ça. Quand vous êtes la tête dans la guidon, au quotidien, vous avez tendance à l'oublier. Mais alors que j'étais assise là, je me suis dit : "Ouah, je suis en train de le faire. Je fais ce que j'ai toujours voulu faire et je suis dans un avion, assise à côté des trois gars". »

© Nascar Garage 56

Le lendemain, après s'être reposée, Jessica a pris le temps de répondre à une question que son père, Kraig Rowe, lui avait posée au sujet d'éventuels projets pour le Coca-Cola 600 en mai. Mais elle lui a également fait part de cette expérience qu'elle venait de vivre. Quand il a décidé de l'inscrire à un cursus d'ingénierie en sports mécaniques à l'UNC de Charlotte, M. Rowe a fait un pari sur l'avenir. Pari qui s'est avéré payant, puisque Jessica en est à sa sixième année chez Hendrick Motorsports et qu'elle est l'un des rouages essentiels du projet Garage 56. « Tu sais pourquoi tu es dans cet avion ? Parce que tu as ta place parmi eux, raconte M. Rowe. Elle m'a dit que c'était probablement la chose la plus gentille qu'on lui ait jamais dite. »

TRACER SON CHEMIN

La NASCAR a presque toujours guidé l'enfance de Jessica. Les commentaires des courses constituaient la bande-son d'un dimanche après-midi standard de la famille Hook. Elle s'est d'ailleurs vite liée d'amitié avec un voisin habitant de l'autre côté de la rue, dont le père courait sur un circuit local. Elle l'accompagnait de temps en temps... avant que le Kansas Speedway n'ouvre ses portes alors qu'elle n'avait que 12 ans.

 

« Je pense que j'y suis allée parce qu'aucun de mes frères et sœurs ne voulait y aller, se souvient-elle. Je me souviens d'avoir été dans les tribunes et d'avoir entendu les moteurs vrombir pour la première fois. C'est comme si quelque chose s'était allumé en moi et n'avait jamais disparu depuis. C'est à ce moment-là que je les ai vues, que je les ai entendues et que je me souviens avoir dit à mon père, sur le chemin du retour, que je voulais être de l'autre côté de la barrière, travailler et collaborer avec une équipe capable de gagner. C'est ainsi que tout a commencé. J'étais probablement en huitième année à l'école. »

 

À cette époque, Hook était déjà une étudiante de niveau A qui excellait en mathématiques, voie qu'elle a choisie. « C'est lui qui m'a donné cette idée, avoue-t-elle. J'ai toujours été intéressée par les mathématiques, les sciences et l'ingénierie. Il a vu cela en moi tout en sachant que j'avais cette passion pour la NASCAR. Et un jour il m'a dit : "Tu sais que tu peux concilier les deux". »

© NASCAR.com

Ses objectifs l'ont amenée à faire un stage dans un atelier local. Mais alors que sa première année à l'université d'État du Kansas touchait à sa fin, Jessica était prête à négocier ce virage lui permettant d'orienter sa carrière vers la course. Les coûts d'inscription dans un autre état étaient problématiques, mais elle était déterminée à saisir l'occasion de se rapprocher de la NASCAR. Sa famille a pris en charge les frais de logement et de nourriture, et les prêts étudiants ont pris en charge le reste.

 

Hook reconnaît aujourd'hui que certaines de ses amies ne l'ont jamais vraiment compris. Son dévouement a davantage impressionné les pères de ces dernières, dont bon nombre étaient amateurs de voitures. Son groupe a cependant évolué quand elle est arrivée à Charlotte, avec des étudiants partageant le même état d'esprit et poursuivant des rêves similaires. « Tout d'un coup, j'ai eu l'impression d'être un peu avec les gens de mon âge, ce qui était extraordinaire, se remémore-t-elle. Nous étions des centaines. »

 

Ce qui lui manquait en termes d'expérience même de la course, elle le compensait par une motivation extrême. Alors qu'elle était encore à l'université, Hook a refusé une offre d'emploi plus lucrative chez Duke Energy pour rejoindre à temps partiel le programme SRT Viper de Riley Motorsports. Hors de question d'avoir traversé la moitié du pays pour finir par travailler pour une compagnie d'électricité.

 

De stagiaire chez Riley, elle a été embauchée son diplôme en poche. L'occasion de parcourir les circuits et de découvrir Le Mans. Quand Riley a réduit ses activités en 2018, Hook n'a pas attendu longtemps avant d'être démarchée par Hendrick Motorsports, de quoi réaliser ses rêves de Nascar.

 

« J'ai toujours encouragé mes enfants à réaliser tout ce qu'ils voulaient, car mes parents n'ont pas fait cela avec moi, reconnaît M. Rowe. J'étais donc un peu perdue dans la vie. J'ai donc essayé de corriger cela avec mes enfants. Elle avait donc ce rêve, et je lui ai dit qu'il était possible d'y arriver. Il faut juste y mettre du sien ».

 

 

DIRECTION LE MANS

Le matin du 2 mars 2022, Jessica reçoit un message de Chad Knaus qui lui demande de venir le voir à son bureau.

 

- Knaus : Nous voulons emmener une voiture de la Next Gen Cup au Mans en 2023. Cela t'intéressait-il ?

- Hook : Oui, sans aucun doute.

- Knaus : OK, super, parce que nous avons une réunion dans cinq minutes. Va chercher ton ordinateur portable.

 

« Et c'est ainsi que j'ai commencé, raconte Hook. En fait, il m'a posé la question à 8 h 55 et, à 9 heures, je participais à ma première réunion technique pour en parler. »

 

Le projet Garage 56 allait être dévoilé 15 jours plus tard à Sebring. Il était encore tenu secret et la voiture n'en était encore qu'au stade de dessin sur un bout de papier. Mais Knaus connaissait déjà les antécédents et les compétences de Hook. Lorsque Knaus s'est lancé en IMSA avec Johnson et le Action Express Racing il y a quelques années, c'est Hook qu'il a appelée pour qu'elle le mette au courant des règles spécifiques de la série.

 

« Je ne connaissais ni les circuits, ni les catégories, et elle m'a aiguillé, se rapelle Knaus. Elle est en quelque sorte notre directrice de cabinet. Elle nous aide à comprendre ce dont nous avons besoin d'un point de vue du personnel mais également sur la logistique. Elle sera un atout considérable pour nous, pour ce programme, mais également pour les suivants. »

© NASCAR.com

Si c'est la NASCAR qui est à l'origine de sa passion pour la course, c'est en Endurance qu'elle a débuté sa carrière. « Combiner les deux, c'est comme un rêve » souligne l'intéressée.

 

Jessica a assisté à toutes les étapes du projet Garage 56. Et même si elle a travaillé en coulisses, à l'abri des regards, le fait qu'elle soit l'une des rares femmes à être de la partie la fait forcément sortir du lot. « Je n'aime pas qu'on braque les projecteurs sur moi, assure-t-elle pourtant. Je veux être reconnue pour mon travail plus que par le fait que je sois une femme. Mais si ça peut donner envie à d'autres... Vous savez, il n'y a pas de Hall of Fame pour les ingénieurs de course. Ce n'est pas derrière ce quoi je cours. Mais si, à la fin de ma carrière, j'ai réussi à donner l'inspiration à d'autres... C'est ce qu'il y a, je pense, de plus gratifiant. »

 

L'avenir, Jessica ne sait pas de quoi il sera fait. Elle n'y pense pas, trop concentrée sur le projet Garage 56. L'idée d'évoluer vers un rôle d'ingénieur de course chez Hendrick en Cup Series la titille. Mais elle a aussi des rêves de pilotage. « Je n'ai jamais eu autant envie de prendre place dans un baquet » rigole-t-elle.

 

Mais avant cela, elle a une mission à remplir. Une mission qui va à nouveau passer par le Sebring Raceway, pour le dernier test de la Nascar du Garage 56 avant de prendre la direction de La Sarthe, pour l'édition du Centenaire des 24 Heures du Mans. Elle s'y rendra en avion, en compagnie de Chad Knaus, Jimmie Johnson ou encore Jeff Gordon. Et une nouvelle fois, elle devra se pincer pour y croire...

Commentaires

Connectez-vous pour commenter l'article