Amanda Mille : "Nos pilotes veulent être reconnus pour ce qu’ils sont : de grands pilotes !"
Pour sa troisième saison, Richard Mille Racing Team fait aussi bien dans la continuité que dans la nouveauté. Si l'Oreca 07 sera à nouveau engagée sur les manches WEC, l'équipage est entièrement neuf et surtout mixte. Lilou Wadoux sera l'atout féminin du trio avec à ses côtés Charles Milesi et Sébastien Ogier. Amanda Mille, qui gère le team, s'est expliquée sur les changements au sein d'une équipe qui veut exister autant par les résultats sportifs que par l'aventure humaine.
Pour quelle raison l’équipe 100 % féminine de la RMRT est-elle devenue mixte ?
"Nous avons créé la Richard Mille Racing Team il y a trois ans. Notre objectif initial était de souligner le manque d’opportunités pour les femmes pilotes. Commencer avec une équipe 100 % féminine était donc primordial pour affirmer notre intention et poser les bonnes questions. Si dès le début nous avions obtenu de bons résultats avec une équipe mixte, le succès aurait été attribué aux seuls hommes et nous ne serions pas parvenus à remettre en question les préjugés. En décidant que trois femmes - Beitske Visser, Sophia Flörsch et Tatiana Calderón – courraient dans une voiture en catégorie LMP2 et au WEC, nous avons lancé le débat. Beaucoup ont commencé à réellement s’y intéresser, à en parler, à nous poser des questions. Pour autant, toutes les pilotes féminines expliquent vouloir trouver leur place sur le circuit en équipe mixte. Leur rêve ne se concrétise vraiment que lorsque les hommes veulent rouler à leurs côtés, dans la même équipe.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui. À la fin de la saison précédente, nos trois pilotes féminines souhaitaient conduire des voitures monoplaces. Le calendrier du WEC les ayant tenues occupées, elles souhaitaient se consacrer à leurs projets personnels."
Comment avez-vous réussi à remplacer une aussi bonne équipe ?
"Nous avons organisé plusieurs essais pour trouver ces jeunes pilotes féminines. Évidemment, nous n’avons pas encore – pour le moment ! – la chance de pouvoir puiser dans un large vivier de talents. Mais la situation s’améliore, lentement. Peu de candidates présentent le parcours requis pour pouvoir conduire en LMP2 qui exigent de nombreuses compétences. Mais lors des essais, une jeune Française s’est distinguée : Lilou Wadoux, un « ovni » comme on dit, un diamant brut, au parcours tout à fait atypique. Elle a commencé à conduire parce que son ex-petit ami était pilote de Grand Prix mais dès qu’elle a posé les mains sur le volant, elle a eu un ressenti très fort."
Où l’avez-vous rencontrée ?
"Au Mans, l’an dernier. Avant le début de la course, elle conduisait une Porsche sur le circuit. Alors que c’était la première fois qu’elle utilisait cette voiture, c’était elle qui imposait son rythme et menait la danse. Elle impressionnait d’emblée. Et elle n’a que vingt ans ! En outre, son parcours est très différent de celui auquel on pourrait s’attendre. Pour elle, la Formule 1 n’est pas l’alpha et l’oméga. Elle aime les voitures, tout simplement. L’endurance lui apparaît comme un moyen de faire évoluer sa carrière."
Y a-t-il un risque à choisir quelqu’un d’aussi atypique ?
"Bien sûr ! Mais c’est le but. C’est tout l’enjeu de la RMRT : briser les tabous, remettre en question les idées préconçues. Nous avons vraiment à cœur de donner à Lilou la chance d’aller le plus loin possible. Pour cela, elle a besoin d’un cadre approprié. En endurance, il y a toujours trois pilotes. Lilou doit absolument être encadrée par des pilotes expérimentés capables de lui apporter le type de soutien et d’accompagnement indispensable. Le plus amusant, c’est que depuis la fin de la saison précédente, de très bons pilotes masculins sont venus frapper à la porte de notre écurie. Et je ne parle pas de débutants... mais bien de véritables têtes d’affiche, de grands noms. Des hommes qui ne risqueraient pas leur réputation ou leur carrière juste pour un geste politique. Le fait qu’ils veuillent rejoindre notre équipe montre clairement que nos pilotes féminines ont marqué leur territoire sur le circuit."

Pouvez-vous nous révéler qui est venu vous solliciter ?
"Charles Milesi a été le premier à nous contacter. Vainqueur des 24 Heures du Mans l’an dernier, il est très jeune... et prometteur. Ensuite, par Sébastien Ogier, multiple champion de rallye et, depuis 2016, partenaire de la marque. Bien entendu, il ne se serait pas manifesté s’il n’avait pas confiance dans le potentiel de Lilou. Sébastien est très modeste, il sait qu’il se lance dans une nouvelle aventure et qu’il va devoir se montrer à la hauteur !"
Quel type de dynamique y a-t-il dans une équipe mixte ?
"Tout le monde, les pilotes, mais aussi les ingénieurs et les techniciens, tous masculins, ont pris Lilou sous leur aile. Nous l’avons accompagnée en Espagne pour les premiers essais. Lilou avait besoin de s’entraîner et a immédiatement commencé à travailler les bases. Tous les membres de l’équipe lui ont apporté un maximum de soutien et cette expérience a convaincu tout le monde de son immense potentiel."
Peut-on dire que la Richard Mille Racing Team est d’une manière ou d’une autre « militante » ?
"Je ne suis pas sûre que ce soit le bon mot. Nous avons eu pour objectif premier de montrer que si les pilotes féminines disposent des outils dont elles ont besoin, elles obtiendront d’excellentes performances sur le circuit. Elles sont capables d’aller aussi loin – et aussi vite ! – que les hommes. Notre équipe mixte constitue simplement une évolution naturelle du projet, sa deuxième phase. La course automobile est une discipline où les femmes ont leur place autant que les hommes, notamment en endurance. C’est l’un des rares sports – avec le saut d’obstacles ! – totalement unisexes et égalitaires, sans différence physique, et plus encore dans le monde moderne où la technologie joue également un rôle."
Il n’y a donc vraiment aucune différence physique ?
"Évidemment, chacun doit s’entraîner en adaptant ses capacités physiques spécifiques à la discipline. Les femmes savent qu’elles devront, par exemple, travailler particulièrement les muscles de leur cou, mais après tout, il y a aussi chaque homme est différent des autres ! Chaque personne, chaque être humain est singulier. On s’adapte et on s’entraîne en conséquence. Dans n’importe quel sport, chaque compétiteur doit travailler spécifiquement des aspects, physiques et mentaux. Ce que nous visons en fin de compte, c’est l’efficacité – et la réussite. C’est la plus grande forme de militantisme qui soit !"
Parlez-vous d’un monde « post-diversité » ?
"Oui, absolument. Avoir trois pilotes féminines était indispensable pour attirer l’attention sur la Team. Cela a permis d’interpeller et de lancer le débat. Mais aujourd’hui, les femmes veulent être jugées et gagner pour leurs propres qualités pilotes, tout comme les hommes. Cette phase « militante » était un passage obligé pour sortir les pilotes de la référence au « genre ». D’une certaine manière, le « militantisme » est une fausse question, en particulier dans la course automobile. Les pilotes sont avant tout des athlètes. Pourquoi leur genre les empêcherait d’accomplir des exploits, surtout dans un sport égalitaire ? Nos pilotes veulent être reconnus pour ce qu’ils sont : de grands pilotes ! Ce sont des vainqueurs qui montent sur le podium, pas des symboles. Alors, rendez-vous la saison prochaine !"
Commentaires
Connectez-vous pour commenter l'article