En juin 1980, le titre 'Les Jardins du Ciel' de Jairo figurait en tête du hit parade. 1980, c'est l'année du lancement de CNN, de la fin de Manufrance, de la mort de Steve McQueen et de Joe Dassin, du 5e titre de Björn Borg à Roland Garros et de Coluche qui était crédité de 12% d'intentions de vote à la présidentielle. La semaine 24 était, bien entendu, consacrée aux 24 Heures du Mans et pour la première fois de ma vie, j'allais en être. Ce samedi 14 juin 1980 était aussi le jour de la libéralisation des prix sur les fruits et légumes mais aussi de l'augmentation du prix de l'essence de 0,03F, ce qui passait le litre de super à 3,45 francs et l'ordinaire à 3,24 francs. Tout un programme...Un peu à l'image du comité de sélection qui choisit les concurrents, il fallait passer devant le conseil de famille pour aller au Mans avec un bulletin scolaire assez solide. Mon père, qui allait aux 24 Heures depuis plus de 20 ans, était bien entendu dispensé de bulletin scolaire. Moi, encore bien jeune, je ne pouvais pas passer à côté. Il fallait aussi faire un mot pour manquer l'école du samedi matin et mes parents l'ont fait sans truander en précisant bien que c'était pour aller aux 24 Heures du Mans. Le fait que des cousins (Catherine et Jocelyn) habitaient au Mans a bien aidé. Quelques années plus tôt, mes parents ont frôlé le "divorce" car ma marraine n'avait pas trouvé mieux que de se marier le jour des 24 Heures. Même pour mon père cette année-là, pas de Le Mans. Quand on sait que quelques années plus tard elle a divorcé, ça fait mal au derrière... Bref, 1980, c'est mon année. Nous voilà partis au Mans à 150 km du domicile (en 1980, c'est comme si on allait de Paris à Los Angeles en avion).
Le Mans 1980, c'était une centaine de postulants, une qualification qui n'était pas donnée au plus rapide, mais au temps moyen de l'équipage, des rookies de la trempe de Jean-Louis Trintignant, Markku Alen, Teo Fabi, John Paul Jr et les frères Almeras. 1980 marquait également la présence d'une caméra embarquée dans la WM. Pour moi, rien de tout ça n'était connu vu mon jeune âge. Pourtant, j'allais au Mans avec des yeux ouverts en grand. Mon père travaillant dans l'automobile, nous avions des billets gratuits avec accès au parc coureurs.Il n'en fallait pas moins pour tenter de comprendre les différentes catégories dont je n'avais pas la moindre idée. On se plaint que c'est compliqué à comprendre au XXIe siècle, mais, en 1980, il fallait ingurgiter Gr4, Gr5, Gr6, GTP, IMSA. Pour un gamin comme moi, c'était incompréhensible. Cette année-là, les autos qui consommaient le moins étaient favorisées, un réservoir de 120 litres pour les Gr6 et 50 litres/minute lors des ravitaillements.
Pour cette première, jour de naissance du footballeur Florent Malouda, nous sommes arrivés sur le circuit le 13 dans la matinée. Le premier souvenir de ce samedi est bien présent même 40 ans après : temps de merde !Pourtant, il y avait un tas de choses à voir, notamment la Ferrari BB 512 #74 alignée par NART. Finalement, elle était interdite de départ après une casse moteur lors des essais du jeudi. Le règlement interdisait le changement de moteur après la 2e séance d'essais. Il me restait tout de même quatre BB 512. Dix autos étaient recalées à l'issue des essais.Une fois sur le circuit, il nous était facile de déambuler à l'arrière des stands. Que le temps passe vite car peu importe l'âge, vous en prenez plein la tête la première fois. Vous vous souvenez de votre première relation sexuelle, qu'elle soit bonne ou moins bonne, vous vous souvenez aussi de votre dépucelage de 24 Heures du Mans. J'ai en mémoire que mon père me demandait régulièrement si je voulais qu'on arrête un peu de marcher. J'ai autant aimé être face aux stands que d'être assis au-dessus des stands avec les pieds qui pendaient sur les vitres des loges. Les camions Iveco du Rallye 5 x 5 faisaient le show sur la ligne droite des stands. J'ai même vu Alain Delon et Mireille Darc. L'acteur était venu supporter son partenaire Chardonnet, l'importateur Lancia.
Avant le départ, je m'étais intéressé à deux voitures noires qui s'appelaient Rondeau. Pourquoi ? Mes cousins qui habitaient au Mans travaillaient dans une administration et, lors d'une discussion le samedi, ils m'avaient dit avoir rencontré dans le cadre de leur travail un pilote-constructeur sarthois qui s'appelait Jean Rondeau. Ils l'avaient trouvé très sympa, donc je m'étais dit que j'allais suivre ses voitures d'un peu plus près. Par chance, c'est une Rondeau qui partait de la pole, mais pas celle de Jean. Mon père travaillant chez Renault, j'avais entendu parler de Jean Ragnotti dont la R5 Alpine était exposée dans le village. Mon père était pourtant plus porté sur Jacky Ickx et Henri Pescarolo. Moi, tout frêle, j'étais à fond derrière Jean Rondeau.Cette saleté de pluie a bien troublé la procédure de départ. John Fitzpatrick prenait le meilleur départ sur sa Porsche 935 K3 devant le barbu le plus célèbre de France. Il était déjà 16 heures et j'avais l'impression d'être juste arrivé sur place. Nous avons regardé le ballet des voitures sous une pluie battante, mais j'avais un K-Way et des bottes, donc tout était sous contrôle. Le soleil a fait son retour vers 18 heures et la Porsche 908 de Ickx/Jöst (en 1980, on écrivait Jöst et non Joest) menait la danse devant deux autres Porsche, celles de Fitzpatrick et Wollek. Ce bon Bob Wollek qui apprenait qu'il allait devoir rouler avec Helmut Kelleners, dont la dernière apparition au Mans remontait à 1970. De quoi faire pester l'Alsacien ! D'autres noms étaient pourtant pressentis : Whittington, Depailler, Prost, Tambay, Schlesser. Et mes deux Rondeau noires ? 4e et 6e. L'écran lumineux au-dessus des stands permettait de suivre le classement avec les numéros. Il fallait donc le journal. Ce journal du Maine Libre qui ne m'a pas quitté une seule seconde et que je conserve bien précieusement 40 ans plus tard.
Le temps passe très vite et le passage dans les boutiques du village a été assez long. Seule l'allée centrale était bitumée, le reste n'était que de la terre aplatie. Super avec la pluie. J'ai bien dû emmerder mon père pour tout acheter. L'ancien Welcome permettait de récupérer les classements. Des bacs étaient installés à l'entrée. Avec tout ça, on a raté Patrick Sabatier qui animait 'Stop ou encore' sur RTL depuis le circuit du Mans. Francis Cabrel faisait partie des invités de RTL au Mans.A un moment, il a fallu rentrer chez les cousins pour dîner. Je crois même qu'on s'est fait houspiller car il était assez tard. Hé oui, en 1980, pas de téléphone portable pour prévenir d'un retard. Par chance, on a pu continuer à suivre la course à la télévision. Je demandais à mon cousin s'il pouvait prendre des photos des voitures à la télévision, ce qu'il a fait (j'ai encore la photo en diapo de la Porsche de Ickx à la sortie de la chicane Dunlop.La course semblait calme devant le petit écran jusqu'à ce que la Lola T297 de Nick Mason, le batteur de Pink Floyd, ne soit retardée par une touchette. La BMW M1 de Hans Stuck était elle aussi retardée par un changement de pare-brise.La question se posait alors de savoir si nous allions retourner sur le circuit après manger. Alors stop ou encore ? Fallait-il repasser devant le conseil de famille ?A suivre...
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