Vécu - De mon vélo Gitane à ma rencontre avec Alain Prost

Demander à faire une interview d’Alain Prost sur sa carrière en Endurance, quelle drôle d’idée ! Le quadruple champion du Monde de Formule 1 n’a jamais disputé les 24 Heures du Mans et sa seule saison en GT était plutôt typée Sprint sur la Chrysler Viper GTS-R/Exagon Engineering. Malgré ce palmarès vierge en Endurance, je me suis mis en tête d’aller voir Alain Prost pour lui parler autre chose que de Formule 1.

Sur les près de 8 milliards d’êtres humains, combien n’ont jamais entendu parler d’Alain Prost ? Certainement uniquement ceux qui ne sont pas en âge de parler et ceux qui habitent dans les coins les plus reculés de la planète. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un fan de Formule 1. Je ne regarde pas les GP et je n’ai jamais prêté attention à la F1. Ce qui est assez paradoxal car mon père travaillant chez Renault, j’avais des posters de F1 dans ma chambre. J’ai encore en mémoire celui en noir et blanc montrant Bernard Hinault sur son vélo encadrant Alain Prost et René Arnoux, les deux pilotes Renault F1 de l’époque. Nous étions au début des années 80.

A cette époque, je faisais beaucoup de vélo avec mes copains. J’avais un vélo Gitane que j’avais customisé en vélo Renault Gitane. Croyez-le ou non, mais avec mon meilleur ami d’enfance, nous nous battions face aux autres potes dans un lotissement qui faisait une boucle d’environ 1,5 km. Chacun prenait le nom d’un pilote de F1 de l’époque. J’étais Alain Prost sur mon vélo Renault Gitane et mon pote était René Arnoux. Nous faisions des courses entre nous sur plusieurs tours avec un classement final. Mon père avait même collé un petit sticker Alain Prost sur mon Gitane bleu. Dans les années 80, la mode en vélo était de relever le guidon pour avoir les freins vers le haut. Il fallait toutefois le remettre en position normale pour aller plus vite. Avouez que vous en avez fait autant quand vous étiez gamin.

Une autre anecdote d'époque ! Chaque été, mes parents me mettaient (je dis bien 'mettaient' car quand tu es gamin, tu as l'impression que c'est une punition) en centre aéré. Il y avait un déplacement en vélo sur une quarantaine de kilomètres en groupe pour aller passer plusieurs jours autour d’un lac. Toujours avec mon ami, nous jouions encore à celui qui irait le plus vite et nous avions emmené plusieurs autres potes dans l’aventure. Nous avions semé les moniteurs chargés de nous encadrer. Sur cette « course », j’étais vénère car René Arnoux avait battu Alain Prost. Le podium donnait : Arnoux – Prost – Rosberg. On avait pédalé comme des malades alors que le but était de rester en groupe et de faire le trajet en mode balade. Je ne vous cache pas qu’on s’est fait virer du centre aéré pour le reste de l’été au grand désarroi de nos parents respectifs. Nous avons donc repris nos courses autour du lotissement, toujours à pédaler plus vite et encore plus vite. Juste pour la gloire ! J’ai donc été Alain Prost sur plusieurs années de ma jeunesse en vélo.

Mais revenons au XXIe siècle. Dans la carrière d’un journaliste, il y a des moments qui marquent, des moments que vous gardez toujours en tête. On parle d’une rencontre, d’un partage, d’un moment privilégié. En plus de 16 ans d’Endurance-Info, il y aurait un tas de choses à raconter, à expliquer. Des choses positives, d’autres bien moins reluisantes. Ce sera peut-être pour plus tard.

Là, je suis à Dubai sur le magnifique événement Gulf Historic Dubai GP Revival avec une pléiade de pilotes d’hier et d’aujourd’hui, dont Alain Prost. Bien entendu, il ne me connaît pas et si je vais le voir pour lui demander une interview sur l’Endurance, il va me prendre pour un fou. Je prends l’option de passer par Nico, son fils, lui aussi présent sur l’événement. « Tu crois que ton père serait ok de me parler d’Endurance, de savoir pourquoi il n’a jamais fait Le Mans, etc… » La réponse de Nico est claire : « Pour toi, la réponse est oui. » Merci Nico qui fait partie des gentlemen (au sens large du terme) des paddocks. Rendez-vous est pris le dimanche matin.

Depuis son arrivée sur le Dubai Autodrome le samedi, Alain Prost est la proie de photos, de selfies, d’autographes, aussi bien de la part d’expatriés que de locaux. Pas une fois je ne l’ai vu se soustraire à une sollicitation. Pour réaliser l’interview, nous décidons d’aller nous mettre au calme au Gentleman Drivers Club. J’accompagne Alain qui passe tout près de son ancienne Ferrari 643 de 1991, celle avec laquelle il a terminé 5e du championnat. Son propriétaire actuel, impressionné, échange quelques minutes avec « le Professeur » sur ce début des années 90. Pour aller se mettre au calme, nous avons une vingtaine de mètres à faire. 27 ! Outre le fait que ce soit son numéro en 1991, c’est aussi le nombre de fois où il a fallu s’arrêter pour les fans, toujours avec le plus grand respect pour le champion. Il aurait pu dire « plus tard ». Non ! On a entendu des : excusez-moi de vous déranger, vous m’avez fait rêver, j’ai vécu tant de choses devant ma télé en vous regardant, vous m’avez fait aimer le sport auto, merci pour tout ce que vous avez fait.

Une fois au calme, nous échangeons pendant une bonne trentaine de minutes. Il me dit avec le sourire que je suis le premier à lui faire une interview sans lui parler de F1. On parle Endurance où il m’explique notamment pourquoi il n’a jamais pris part aux 24H du Mans, son incompréhension d’avoir une BOP et de sa passion pour le vélo, lui l’ambassadeur Trek qui s’est mis depuis peu au gravel.

Dans la vie, il faut profiter de moments privilégiés comme celui-ci. En 1982, lorsque je pédalais comme un fou sur mon Gitane, j’étais à cent lieues de m’imaginer que 40 ans plus tard il y aurait ce meeting à Dubai pour discuter Endurance et cyclisme avec Alain Prost.