Classic

Jean-Luc Le Duigou : "La Carrera Panamericana, une aventure extraordinaire"

Divers
Featured
23 oct. 2019 • 12:00
par
Claude Foubert
Nous évoquons aujourd'hui une épreuve mythique, aujourd'hui disparue dans sa forme originelle, la Carrera Panamericana. Cette course, qui se déroulait au Mexique, sur des routes ouvertes ordinairement à la circulation, sur le mode de la Targa Florio en Sicile ou des Mille Mglia dans le nord de l'Italie du Nord, n'aura vécu que cinq petites années. Poutant, quel palmarès !1950 : Hershell McGriff/Ray Elliott - Oldsmobile 88 5litres1951 : Pietro Taruffi/Luigi Chinetti – Ferrari 212 Inter1952 : Karl Kling/Hans Klenk – Mercedes-Benz 300 SL1953 : Juan Manuel Fangio/Gin Bronzoni - Lancia D241954 : Umberto Maglioli – Ferrari 375 PlusEn cinq ans -les trois dernières années avaient été remportées par des équipes d'usine (Daimler-Benz AG en 1952 et la Scuderia Ferrari en 1953 et 1954)-, ce palmarès comprend un quintuple vainqueur du Championnat du du Monde de Formule 1 (Juan Manuel Fangio), un vainqueur des 24 Heures du Mans (Luigi Chinetti en 1949), un vainqueur des 12 Heures de Sebring et double vainqueur de la Targa Florio (Umberto Maglioli), des pilotes de F1 et participants aux 24 Heures du Mans (Pietro Taruffi et Hans Kling), deux autres Champions du Monde de F1 -Phil Hill et Alberto Ascari- ayant également figuré sur le podium de la course.Celle-ci se déroulait dans des conditions de sécurité particulièrement précaires, et les morts, tant côté pilotes que spectateurs - à l'instar de la Targa Florio et des Mille Miglia - étant nombreux. L'accident de Pierre Levegh aux 24 Heures du Mans 1955 effraya le gouvernement mexicain qui, par peur d'une catastrophe durant la Pan-Am, décida la suppression de l'épreuve.Celle-ci, grâce à des passionnés, a revu le jour sous la forme d'un Rallye Historique. Jean-Luc Le Duigou, le charismatique patron du LD Racing, avait préparé une voiture et nous a aimablement fait part de cette aventure mexicaine :Jean-Luc, qu'est-ce qui vous a amené à venir à la Carrera Panamericana ?« C'est quelque chose qui change complètement de l'ordinaire, ça me tracassait depuis des années. Pierre de Thoisy - sept fois vainqueur de l'épreuve, donc cinq fois consécutivement entre 1997 et 2001!! - m'avait demandé d'y aller avec lui comme navigateur, il y a dix ou quinze années, quand il roulait là-bas.
Ce n'était pas pour moi le moment idéal car avec mon équipe on commençait à rouler pas mal, donc j'ai attendu et je me suis dit que je me déciderais un jour, que j'arriverais à convaincre et former un équipage. J'ai eu du mal à décider un équipage, parce que à chaque fois ça tombait avec le Tour de Corse Historique. Et enfin, depuis le temps que je tannais Eric Vincenot et Jean-Marc Bachelier, au printemps ils m'ont donné leur accord...C'est Eric Vincenot qui finançait l'opération. Jean-Marc était libre, donc tout collait et j'ai lancé l'opération.
C'est vrai que ce sont deux grands globe-trotters...« C'est vrai, je les ai promenés pas mal, je les ai emmenés à Dubai, aux Etats-Unis, je leur ai fait visiter la Corse ...Ce n'est pas fini, je les emmènerai encore ailleurs !"
La Porsche qui a fait cette Carrera Panamericana, c'est quel modèle ?« C'est une réplique de Porsche 911 RS 1974 , une copié bien sûr, mais avec un Passeport Technique Historique. C'est une auto que je loue, comme celles que je faisais courir en VdeV. Le moteur, c'est un 3 litres RS qui fait à peu près 270 chevaux. On avait monté une boîte longue, c'est à peu près la seule grosse préparation qu'on ait faite. Pour aller à la Panamericana, il faut quand même faire pas mal de modifs, il faut mettre des renforts, renforcer l'arceau, il y a des spécificités qu'on respecte et qui ne sont pas trop contraignantes dans l'ensemble. »
La course se passe sur des routes ouvertes à la circulation en temps ordinaire ?« C'est exactement le principe du Tour Auto. C'est une course en ligne qui se passe entièrement au Mexique. Cette année, elle faisait 3600 kilomètres. Il avait sept étapes, avec des spéciales dans chaque étape mais, contrairement au Tour Auto, il n'y avait aucune étape sur un circuit. On avait entre cinq et sept spéciales à faire par jour, avec un routier faisant environ 500 kilomètres, si tu veux. C'est quand même assez physique car l'équipage passe huit à neuf heures par jour dans la voiture. Ceci dit, ce n'est pas le Paris-Dakar ! Le soir, quand tu es fatigué, il y a des bons hôtels qui t'attendent, une bonne restauration. C'est un Rallye très haut de gamme pour le Mexique, l'engagement c'est 10000€, c'est un Rallye qui coûte cher. Pour les concurrents, c'est un peu comme le tour Auto, c'est très Gentlemen Drivers, mais physiquement, c'est plus dur que le tour Auto. « Sur quelle partie du Mexique se déroule la course ?« Sur la partie mexicaine de la route panaméricaine, une route mythique qui fait 30000 kilomètres, qui traverse vingt pays en partant de l'Alaska pour aller jusqu'au Cap Horn et qui traverse donc le Mexique ! La Carrera Panamericana, qui avait été arrêtée après l'édition 1954, a été reprise par une Association privée qui a repris le nom, Association avec à sa tête Eduardo de Leon dont la fille est actuellement aux commandes de l'organisation, avec donc maintenant une course sous forme de Rallye Historique. C'est vraiment une course extraordinaire. Les spéciales sont gradées par la Police Fédérale, on a fait une entrée à Mexico incroyable !
Les 70 voitures ont traversé tout Mexico et toutes les routes le long du parcours étaient fermées, c'était un peu comme le tour de France chez nous, sauf qu'à l'échelon de Mexico, c'est quand même très différent, car pour aller d'un bout à l'autre de la ville, il faut faire 80 kilomètres ! A ce moment-là, les Mexicains, la police même, tout le monde vit Pan-Am.
C'est l'événement de l'année, parce qu'il n'y a pratiquement pas de circuits en dehors de celui qui accueille la Formule 1. C'est difficile de décrire la ferveur populaire ! Je n'avais jamais rencontré ça ! Dans chaque village qu'on traversait, c'était le fête folklorique, avec les fanfares, les écoles, quelque chose d'extraordinaire !! »
Comment étaient les spéciales ? Difficiles ?« Difficiles, non. Des spéciales courtes et rapides. On avait à peu près 100 kilomètres de spéciales par jour, des spéciales de 12-15 kilomètres. Ce sont de très belles spéciales, pas spécifiquement cassantes. »
Comment est l'état des routes ?« En général, c'est déplorable...Le Mexique, ce n'est pas la France, il y a parfois des routes catastrophiques ! Par contre, les plus belles routes, c'étaient les spéciales ! Le plus difficile, c'était les liaisons !Le réseau routier mexicain et la circulation, c'est quelque chose.... Sur les autoroutes -enfin, ce qu'ils appellent des autoroutes- tu trouves des mobylettes à contre-sens ! Les arrêts de bus sont sur le côté gauche de la quatre voies!Par moment, on se croirait sur le périphérique de Dakar... Au niveau de l'état des routes, ça dépend un peu de chaque Etat, puisque le Mexique est un état fédéral, et qu'il y a des Etats plus riches que d'autres.. D'un point de vue général, il faut accepter les choses. C'est un pays magnifique, avec une ferveur populaire et un accueil fantastiques, des gens extrêmement gentils ! On nous avait beaucoup parler de l'insécurité et, sur ce qu'on a vu, c'est totalement faux. Les gens sont d'une gentillesse incroyable. Il y a sûrement de la pègre, de mafia, des morts par balle, des quartiers où il ne faut pas aller avec les gangs et le trafic de drogue, Par contre, dans les campagnes traversées et dans la proximité du rallye, ça n'a strictement rien à voir avec ce qu'on entend dire du Mexique ! On a vécu quinze jours au Mexique et je te jure que tu pouvais laisser ton argent et les papiers sur le tableau de bord, tu les retrouvais. Les gens sont pauvres, souvent, mais il n'y a aucune insécurité. »Comment était l'organisation ?« Elle était très mexicaine, avec beaucoup de défauts, un site internet très moyen...Karen Leon, qui est en ce moment en charge de cette organisation, la fille de celui qui a relancé l'épreuve, est venue au Tour Auto pour voir comment ça se passait. Pierre de Thoisy l'a promenée pendant tout le Tour Auto avec une BMW prêtée par Peter Auto. Elle était venue aussi en France pour chercher des clients parce que le nombre de concurrents a fortement diminué ces dernières années, passant de 180 à 80 participants. Pierre De Thoisy, qui est un peu en France l'ambassadeur de la Panamericana, l'aidée et cette année on était quand même quatre équipages français. Si elle est bien conseillée, on peut bien être une bonne quinzaine l'année prochaine. J'ai déjà deux clients ! Je pense qu'elle peut trouver en Europe un vivier d'équipages, avec des Allemands, des Hollandais, des Belges, des Français, des Italiens...Auparavant, il y avait principalement des Mexicains et des Américains, et cette année, les Américains, ils étaient seulement quatre contre soixante-dix dans les belles années. Pour faire venir les européens, il faut absolument qu'elle adopte une organisation plus européenne, plus rigoureuse au niveau des timings, du site internet, de la réglementation des voitures. Pour te donner un exemple, j'ai eu un mal fou à pouvoir inscrire ma Porsche en configuration FIA avec PTH ! Les réglementations sud'-américaines sont trop privilégiées. »Qu'est-ce qui fait les force des Studebaker qui dominent la Carrera Panamericana depuis des années ?« C'est ahurissant ! C'est un « chariot » doté d'une efficacité redoutable !
C'est la seule voiture
(ci-dessus la Studebaker Champion victorieuse) qui est reconstruite extérieurement comme elle était en course auparavant. En 1988, quand la Panamericana a redémarré sous sa forme actuelle, un préparateur a fait des copies des Studebaker et ça a fait boule de neige. Dans les grandes années, il y a avait 30 ou 40 Studebaker qui n'ont évidemment rien à voir avec celles des années 1950 !
A part le look extérieur, il n'y a rien de commun. Ce sont des peaux de polyester posées sur des châssis tubulaires. Elles n'ont pas de PTH, elles ne sont bonnes qu'à faire la Panamericana, sauf quelques-une qui vont courir à Pikes Peak ! Ce sont des engins qui ont un V8 Ford de 7,2 litres qui développe 630 chevaux. Ce sont des vrais monstres. Elles ont des freins Wilwood, des amortisseurs Penske, une boîte séquentielle !! Elles marchent du feu de Dieu.
Les Porsche ont été un peu bridées. Il y a 5 ans, la limite d'éligibilité, c'était 1965 , il y a trois ans ; ça a été rapproché à 1972 et depuis l'année dernière, c'est 1974. Karen Leon a rajeuni le plateau pour attirer davantage de concurrents et sauver la course , mais elle a bridé les Porsche pour que ce soient les « historiques » qui gagnent. Les jantes des Porsche sont limitées à 9 pouces. »Vous avez eu des soucis mécaniques ?« Non, rien du tout, que du bonheur ! Un peu de resserrage, nettoyer la pare-brise et gonfler les pneus !!! On a eu seulement un cardan desserré, des tout petits détails. »25ème, c'est correct ?« Oui, on avait du potentiel. Il y a juste une sortie de spéciale qu'on a ratée, et donc comme le pointage était raté, on s'est pris une pénalité qui nous fait perdre une dizaine de places. Pour une première, c'est donc correct. Au départ, on n'avait qu'un seul objectif, prendre du plaisir et voir comment ça se passait dans le but de revenir l'année prochaine et d'être dans le Top 10 , en tête des Porsche. C'est très faisable. La difficulté de la Panamericana, c'est qu'elle est tellement longue que tu roules avec les notes de l'organisateur. Tu ne pas faire de reconnaissances, donc tu n'es pas très performant. »Vous avez fait une belle rencontre avec Emerson Fittipaldi !« Incroyable ! Il était le Grand Marshall de l'épreuve. Je savais qu'il serait à l'arrivée. Il serrait des mains, faisait des selfies. J'étais impressionné, parce quand j'étais jeune, dans mon atelier, j'avais un poster de Emerson Fittipaldi. Je me suis donc dit que je n'allais pas louper la poignée de mains !
A part ça, c'était une aventure magnifique. L'Historique, c'est vraiment génial. Quand je vois les plateaux, de la Panam, du Tour de Corse Classic, du Mans Classic et des meetings Peter Auto. Notre programme est déjà plein pour l'année prochaine. On reviendra à la Pan-Am. Jean-Claude Ruffier et Bruno Fretin m'ont déjà réservé une voiture. Pierre De Thoisy va faire le nécessaire pour qu'il y ait un bon contingent français en 2020.
Des épreuves comme celle-ci, c'est magique, ça vous emmène ; ça vous sort de votre bulle quand vous restez sur un circuit pendant un week-end à tourner en rond sans rien voir d'autre. Là, il y a des horizons, la vie quoi... »D'autres photos /ici

Commentaires

Connectez-vous pour commenter l'article