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Jean-Claude Andruet (part 1) : "Je tournais autour de tout le monde sous la pluie !"

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19 mar. 2020 • 12:00
par
David Bristol
Jean-Claude Andruet est un pilote à part et très éclectique. On le connait surtout pour ses nombreuses victoires et titres en Rallye : Champion d’Europe des Rallyes en 1970, double Champion de France des rallyes sur asphalte en 1968 et 1970. Il a remporté trois rallyes du championnat du monde : le Monte-Carlo en 1973, la Corse en 1974 et San Remo en 1977. Il a également roulé en courses de côte et en circuit. Il compte vingt participations aux 24 Heures du Mans ! Nous avons eu la chance de rencontrer ce grand Monsieur pour feuilleter son palmarès manceau…Alors qu’il est encore en Coupe Gordini en 1966, Jean-Claude Andruet se voit proposer son premier volant aux 24 Heures du Mans l’année suivante (Alpine A 210). « J’ai signé un contrat de pilote chez Alpine en 1967 alors qu'on m’en proposait un autre chez Matra et payé 100 fois plus cher. Les gens me disaient que j’étais fou. Bon, maintenant, je dois avouer que j’ai certainement fait une erreur. Si j’avais signé chez Matra, j’aurais pu avoir les voitures qu’il fallait pour gagner les 24 Heures du Mans. En plus, j’allais très vite au Mans. J’ai souvent eu la concurrence de pilotes de F1 en Sarthe, mais j’étais devant. En tout cas, je rentre chez Alpine pour y faire du rallye et les 24 Heures du Mans. Je n’étais jamais allé au Mans, même pas en tant que spectateur. Cela faisait plusieurs années que la marque courrait après l’Indice de Performance. Malheureusement, je pars avec Robert Bouharde, un gars très gentil, mais qui ne courrait plus depuis longtemps. Au début, ça allait, il n’y avait pas une grosse différence entre nous, mais dans la nuit, j’ai amélioré mes temps de 15 secondes ! J’étais alors facilement en tête de l’Indice de Performance. S’il ne l’avait pas gagné avant, c’est parce qu’Alpine n’avait pas de pilotes assez performants. J’étais donc alors en tête et ça a déstabilisé Bouharde que j’améliore mes chronos comme ça. A 11 heures du matin, il est sorti au Tertre Rouge et a eu de la chance de ne pas se tuer. C’est dommage car nous avions l’Indice de Performance dans la poche. Dès ma première participation, j’aurais pu gagner. Cependant, je le remporte l’année d’après avec Jean-Pierre Nicolas (Alpine A210 #55). »
Jean-Claude Andruet restera six ans chez Alpine et disputera au total trois fois les 24 Heures du Mans pour la marque française (la dernière fois en 1969 sur une A220/69 en compagnie de Henri Grandsire, abandon à la 6e heure, moteur, photo ci-dessous). « Je garde surtout en mémoire cette fabuleuse auto. Il y a eu des moments, tellement je prenais du plaisir, je n’avais pas envie que la course s’arrête. Sinon, l’ambiance chez Alpine n’était pas vraiment bonne. Ils m’ont toujours 'saqué', massacré. J’ai le plus de victoires chez Alpine et j’étais payé 5 fois moins que les autres pilotes. Ils m’en ont fait des 'vacheries'. Jacques Cheinisse (Chef du service compétition d'Alpine, ndlr) m’a fait perdre le Monte Carlo 1972 et deux Tour de Corse volontairement. »
Il reste fidèle aux marques françaises en 1970 en pilotant une Ligier JS1 en compagnie de Guy Ligier lui-même (abandon 8e heure, distribution). Après une édition 1971 au volant d’une Porsche 910 de l’équipe de Christian Poirot (propriétaire et coéquipier, accident 3e heure), 1972 marque le début d’un long chapitre avec Ferrari pour Jean-Claude Andruet. Cette année là, il pilote pour la première fois au Mans une Ferrari Daytona, la #39 « Carrefour » avec Claude Ballot-Léna. « J’en avais même piloté une au Tour de France 1971. Ensuite, j’ai disputé les 24 Heures du Mans avec cette auto en 1972 puis j’ai gagné le Tour de France 1972 dans la foulée. C’était une voiture physique à piloter. Je me rappelle avec Ballot (Léna), nous n’étions que deux à l’époque, nous avions la chaleur du moteur plus la pédale de frein qui était très très dure. Nous avions des ampoules en sang au pied et, je le répète, nous n’étions que deux et n’avions que peu de temps pour nous reposer. Nous faisions alors des double relais pour avoir le temps de s’allonger, se reposer et prendre une douche. Heureusement, à l’époque, il y avait le Club Shell car rien n’avait été prévu pour les pilotes. Dans tous les complexes sportifs de football, de basketball, il y a des douches et des vestiaires. Au Mans, il n’y avait rien ce qui montre comment les pilotes étaient considérés à cette époque là. Même pour aller aux toilettes, il fallait développer des stratégies de dingue. Donc par chance, nous avions Shell avec ce bungalow. Cependant, quand le bail de la marque s’est arrêté, ils ont récupéré les locaux pour le staff de direction, mais pas pour les pilotes ! Ensuite, ce fut la course au pognon et les gens sont venus avec leur motorhome. »
Deux ans plus tard, 1974, le pilote français est au volant d’une Ferrari 312P engagée par le NART (North America Racing Team). « Ils avaient sorti cette auto du grenier. Monsieur Luigi Chinetti avait un ami chirurgien qui était bricoleur et qui accompagnait souvent l’équipe. Sur la voiture, il n’y avait pas de trompettes, il en avait donc créées en boîte de conserve ! La nuit, la tôle des boîtes a ‘pété’. Je voyais dans le rétroviseur les 'dites trompettes' s’envoler derrière (rires). La voiture ne marchait donc plus. Si nous n’avions pas eu ce souci, nous aurions pu prétendre à un super classement. En début de course, nous étions 8e. Si la voiture avait été bien préparée, on pouvait terminer dans les trois premiers. Il faut dire que c’est la première fois que cette 312P termine les 24 Heures du Mans. J’étais avec Teodoro Zeccoli, un mec sérieux. »
S’en suit une longue période, à partir de 1978 (photo de une), avec une autre voiture mythique des 24 Heures du Mans, la Ferrari BB512, un peu différente de la Daytona. « Je dirais que la BB était un peu moins physique de sa devancière. En 1979 (photo ci-dessous), quand il y a le déluge, si j’étais parti avec Ballot-Léna (qui était sur la #63), nous aurions gagné les 24 Heures du Mans avec cinq heures d’avance. J’étais parti avec Spartaco Dini qui m’a trahi. Il ne courrait plus, il n’était pas dans le coup, il a tiré sur le moteur, ce qui nous a obligé à le changer. Il a pris le départ car il avait amené plein de journalistes italiens. Il avait fait changer le moteur le vendredi alors que chez Ferrari (Pozzi JMS Racing) on ne le changeait jamais après les essais. Il était prévu pour les 24 heures. Quand je l’ai su, j’étais fou de colère. Il prend le départ, passe derrière les vibreurs, il trichait pour paraître ! Il a arraché tout le dessous. Il la ramène pour réparer, mais plutôt que de revenir à faible allure, il roule comme-ci c’était un Grand Prix. J’ai cru que la voiture allait prendre feu. Une fois reparti, il est obligé de s’arrêter de nouveau pour changer les disques. Quand je prends mon relais, j’ai deux heures sur l’avant dernier de la course. A six heures du matin, j’étais revenu 2e et, si le moteur ne casse pas, je remporte les 24 Heures du Mans car je tournais autour de tout le monde sous la pluie, j’ai rattrapé tout le temps perdu. »
A suivre...

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