Mes 24 Heures du Mans 1980, part 2...
Je vous avais quitté avec un conseil de famille en vue pour savoir si j'allais pouvoir revenir sur le circuit le samedi soir. Comment pouvais-je aller me coucher ? Je voyais à la télévision que la Porsche de Jacky Ickx était arrêtée à Indianapolis : rupture de la courroie de pompe à injection. Ce n'est pas que je voulais aller aider Jacky à réparer mais bon... Même deux heures après avoir quitté le circuit, j'avais encore le bruit des voitures dans les oreilles. Je suis sûr que vous aussi, ça vous l'a fait.
Mon père a vite tranché et ma mère a abdiqué, elle qui s'en cogne royal des voitures de course depuis bien longtemps. Hop, retour sur le circuit. Pas de chance, la BMW qui me fait penser à une carte routière est dans les grillages au Tertre Rouge. Marcel Mignot connaissait des problèmes de freins. Grosse consolation, une Rondeau pointait en tête à 22 heures avec la #15 de Pescarolo/Ragnotti, deux places devant la #16 de Rondeau/Jaussaud. On marche, on marche, on retourne voir les boutiques, on prend une feuille des temps, on va sur les gradins, on évite les cannettes qui jonchent le sol. J'hallucine car je vois des gens emmitouflés dans des duvets. 'Papa, ils font quoi ? Il y a une course à suivre. Faut pas dormir, c'est une fois par an.' En réalité, j'aurais mieux fait de la fermer car le prochain à aller se coucher, c'était moi. Je demandais tout de même à faire durer le plaisir.
A 23h30, deux Rondeau étaient en tête des 24H du Mans mais 30 minutes plus tard, c'est bien la Porsche 935 K3 de Fitzpatrick/Redman, qui remontait à raison de 2s par tour, qui reprenait les commandes. J'ai eu beau demander à rester plus longtemps mais j'avais l'impression de voir l'hologramme (déjà du virtuel) de ma mère devant moi me faisant signe d'aller me coucher. Donc, au lit. En 1980, pas d'internet pour suivre la course en douce sous la couette. Avant de m'endormir, une nouvelle lecture du Maine Libre et de Ouest France s'est imposée.
J'avais tout de même demandé à me lever tôt pour retourner au circuit. J'en ai raté des choses durant la nuit. La Rondeau de Pescarolo/Ragnotti avait abandonné (joint de culasse). Ce même Henri Pescarolo qui retrouvait le vendredi sa prof de physique (20 ans plus tard), Mme Poughon, qui enseignait au Lycée de Raincy et qui depuis avait été mutée au Mans. Sur les 49 élèves de la classe, un seul avait raté son bac et ce n'était pas Henri. Le pilote de la #15 lui demandait pourquoi elle n'était pas venue le voir plus tôt alors qu'elle habitait au Mans depuis sept ans. Réponse de Mme Poughon : "Je n'aime ni les rillettes, ni les 24 Heures du Mans".

Mais revenons à la course... Les Gr6 allaient prendre l'avantage durant la nuit, Rondeau/Jaussaud face à Ickx/Jöst. Bien entendu, je misais tout sur la Rondeau 'Le Point'. Par chance, je ne connaissais pas encore Thomas Bastin et ses paris foireux. S'il avait pronostiqué la #16, sûr que la course de Jean et Jean-Pierre se serait arrêtée plus tôt et aucun constructeur-pilote n'aurait remporté les 24H du Mans. Tout ça à cause d'un Belge mais on allait en retrouver deux sur le podium cette année-là avec les frères Martin sur la Rondeau/Belga ! En Gr5, Wollek/Kelleners atomisent la concurrence, alors qu'en Gr4, les frères Almeras bataillent face à la Porsche de Thierry Perrier. A mi-course, il reste encore 40 voitures en course et moi je dors. Au petit matin, Ickx/Jöst et Rondeau/Jaussaud sont séparés de 4km.
Il faut se préparer à retourner au circuit, voir où en sont les Rondeau (je ne sais pas que la #15 a abandonné). Il y en a un qui a passé une bonne nuit. Bernard Darniche, suppléant sur la Lancia Beta Montecarlo/Jolly Club, n'a bouclé que 4 tours, et encore durant les essais. La suspension allait sonner le glas de la WM de Jean-Louis Bousquet au Virage Ford. Sortie de piste et course terminée.
Pour moi, la course va se terminer car il n'est pas prévu qu'on reste jusqu'à l'arrivée. Mais comment est-ce possible ? Le lundi, il y avait école. Je vais donc rater la fin du duel Porsche/Rondeau. J'obtiens un peu de rab'.
La pluie fait son retour et Jean-Pierre Jaussaud va se poster à l'entrée de la voie des stands pour dissuader Jean de rentrer. En bon Normand, Jean-Pierre croit en une averse passagère. Jean-Marie Alméras est victime de la pluie et la 934 perd pied pour la victoire en Gr4. La Lola de Pierre Yver, leader en 2 litres, s'offre elle aussi une belle figure.

Au moment de quitter le circuit, j'entends que Jean Rondeau est en glisse, la #16 touche le rail et se retrouve perpendiculaire à la piste. La Rondeau, en proie à des soucis de démarreur, parvient tout de même à repartir. Quelques secondes plus tôt, la Porsche de Jöst a bien failli harponner la Rondeau sous des trombes d'eau. Jean doit repasser par son stand pour changer le capot. On lui met un capot de la #15 'ITT' en modifiant le numéro à la hâte avec un 5 qui devient un 6. Peu de temps après, c'est Jaussaud qui se fait une belle frayeur au Virage Porsche mais là aussi les planètes sont alignées, pas de casse et la M379 redémarre après plusieurs tentatives. Il est en slicks alors que la Porsche est en pluie. Le soleil est revenu et moi je dois quitter le circuit.
Je ne verrais pas la fin du duel avec une Porsche qui connaît des pépins de boite face à une Rondeau en proie à une légère fuite d'huile. Par chance, nous pouvons écouter la fin de course à la radio. A 16 heures, c'est la délivrance, "ma" Rondeau M379 gagne les 24 Heures du Mans 1980. Le seul souvenir qui est resté dans ma mémoire est l'endroit où j'étais quand la Rondeau a franchi la ligne d'arrivée en vainqueur. C'était dans un virage juste avant l'entrée de Clermont-Créans.
Pourquoi je m'en souviens ? Aucune idée. Je suis repassé à cet endroit une bonne centaine de fois et et systématiquement je me dis 'tiens c'est là que Rondeau a gagné en 1980'. Je me suis encore fait la réflexion il y a quelques semaines en revenant du Mans.
L'histoire avec Jean Rondeau ne s'arrête pas là. Comme je l'ai dit précédemment, mes cousins du Mans avaient eu l'occasion de rencontrer Jean dans le cadre de leur travail et de fait ils avaient son adresse. Ils m'avaient même fait passer en douce une copie d'une lettre avec papier à en-tête Automobiles Jean Rondeau. Le texte était entièrement rayé mais il y avait sa signature. Cette lettre est toujours sous verre sur mon bureau 40 ans plus tard.
Quelques jours après la course, j'ai pris une belle feuille blanche pour le féliciter sans rien demander. Les jours passent et une semaine plus tard, je reçois une enveloppe venant du Mans. A l'intérieur, des affiches, des autocollants, des photos dédicacées et une lettre signée de Jean Rondeau. La saga Le Mans est partie mais en 1981, j'étais non qualifié pour l'épreuve par le comité de sélection.
Résultat sans appel : bulletin scolaire de fin d'année hors des 107% pour se qualifier. Pour la petite histoire, le week-end des 24H du Mans 1981, j'étais chez mes grands-parents privé de course. Un Solex en parfait état de ma mère était stocké dans le grenier depuis pas mal de temps. Résultat, en un week-end, j'ai mystifié le Solex, viré le moteur et fait un vélo de cross, le tout sans lui dire. Peu de temps après, je me pétais la cheville en tombant. En 1982, j'étais au Mans. En parcourant la liste des engagés des 24 Heures du Mans 1980, je me rends compte que j'ai eu la chance de côtoyer cinq des pilotes au départ mais pas celui par qui tout est arrivé. Et pour cause...
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