Henri Pescarolo : Mes 24 Heures 1970 sur la Matra MS 660
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12 juin. 2020 • 8:15
par
Claude Foubert
Alors que nous devrions être actuellement plongés dans la semaine des 24 Heures du Mans, nous allons faire un saut d'un demi-siècle en arrière. Henri Pescarolo, quadruple vainqueur des 24 Heures du Mans (1972, 1973, 1974 et 1984) est revenu pour Endurance-Classic sur ses 24 Heures 1970 où il pilotait une Matra MS 660 avec Jean-Pierre Beltoise.
Henri, quel est votre sentiment général sur ces 24 Heures 1970 ?« Ce n'est pas un très bon souvenir, puisque les Matra ont toutes abandonné... Les moteurs ont eu un problème de segmentation, et toutes trois se sont retirées pour la même raison presque consécutivement. Cela a peut-être été dû à un problème de fabrication, une mauvaise série, mais ce n'étaient pas de nouveaux moteurs. Cela ne s'était jamais produit avant et une solution a été trouvée plus tard. »En 1970, il y avait une forte opposition, avec pas moins de huit Porsche 917 et 11 Ferrari 512S. Quelle était l'ambition de Matra au départ ? Lutter contre les Alfa Romeo ?« Ce qui n'avait pas été prévu, en tout cas pas chez Matra, c'est que le règlement, qui paraissait correct dans sa définition, a été outrageusement non respecté par Porsche et par Ferrari. Pour la différenciation entre une voiture Sport et un Proto, il paraissait logique à l'ACO d'avoir un moteur 5 litres pour les Sports et un 3 litres pour les Protos. Une voiture de Sport, ce devait être une voiture issue du Grand Tourisme ou en tout cas une voiture moins puissante, moins sophistiquée qu'un proto. Ni l'ACO ni personne d'autre n'avait imaginé que Porsche d'abord, puis Ferrari, puisse fabriquer 25 exemplaires – le nombre minimum obligatoire- d'une voiture pour pouvoir l'inscrire dans la catégorie Sport et avoir un moteur 5 litres pour ce qui était en réalité un véritable proto ! Les moteurs étaient évidemment beaucoup plus puissants et comme de plus les voitures étaient bien construites...Quand on a vu la photo des 25 Porsche 917 devant l'usine Porsche, tout le monde a été stupéfait. C'étaient de vrais protos, avec un gros moteur. Nous, qui avions respecté la réglementation à la lettre, étions bloqués avec notre moteur 3 litres, et il n'y avait pas de compétition possible avec les 917 et les Ferrari 512S, qui n'avaient de fait rien à voir avec des voitures de Sport. Peut-être que, devant ce détournement de la réglementation, Matra a fait évoluer un peu le V12 avec de nouveaux segments, pour avoir un peu plus de puissance, et que cela l'a fragilisé. Ce n'est pas une certitude, mais c'est possible. »Quelle était la différence entre la MS 660 que vous pilotiez avec Jean-Pierre Beltoise et les deux MS 650 ?« La MS 660 était la préfiguration de la MS 670 et la différence se situait au niveau de la coque. Les MS 650 avaient un châssis en treillis tubulaire et la MS 660 avait un nouveau châssis, un châssis autoporteur, avec une coque centrale cloisonnée en aluminium. »Le Mans, c'était la première course de la MS 660 ?« Oui, effectivement. »Cette année-là, votre coéquipier était Jean-Pierre Beltoise. Est-ce que Matra vous avait mis ensemble parce que vous couriez tous les deux sur ses F1 ?« Oui, c'était parce que nous étions tous les deux en F1. Nous étions les pilotes numéro un de Matra et c'est pour ça qu'on a été mis ensemble. J'ai beaucoup couru avec Jean-Pierre, on a gagné pas mal de courses ensemble en protos, on a gagné entre autres les 1000 Km de Paris...(ci-dessous)
Au niveau style de pilotage, il n'y avait beaucoup de différences entre nous deux. La plus fondamentale est venue après. Si on a tout gagné avec Gérard Larrousse, c'est qu'on avait une manière d'aborder l'endurance, fondamentalement différente de celle qu'il y avait entre Jean-Pierre Beltoise et François Cevert. C'est surtout quand François est arrivé : il y avait une telle rivalité entre Cevert et Beltoise que chacun montait dans la voiture pour montrer qu'il était meilleur que l'autre.Par contre, entre Beltoise et moi, il n'y avait rien de tel. Je ne me considérais pas comme le leader et, quand je montais dans la voiture, je ne voulais pas prouver que j'étais le meilleur. J'ai toujours conduit le mieux possible pour faire gagner la voiture, et Jean-Pierre, c'était pareil. Avec Gérard Larrousse, ça a fait la différence par rapport à la rivalité exacerbée entre Cevert et Beltoise qui a provoqué pas mal de casses."1970, c'était votre première course au Mans après votre accident …« C'est le miracle, un miracle pour lequel je n'y suis pour rien. Pour ce qui est des accidents corporels, ça ne me faisait ni chaud ni froid, j'avais décidé une fois pour toutes que je mourrais probablement en course, je ne savais quand ça arriverait, mais ça m'était égal. La seule hantise, qui était celle de beaucoup de pilotes, c'était de voir comment on réagirait après un accident grave. On avait des exemples de pilotes qui n'ont jamais été les mêmes après un accident. Moi, j'avais eu le pire : j'avais perdu connaissance, j'avais été dans une voiture qui brûlait, j'avais eu atrocement mal, j'avais eu une convalescence de quatre mois ... C'était pratiquement le pire sur un plan psychologique. Quand je suis remonté dans une auto, c'était sur le Nürburgring, au mois d'août 1969. J'ai gagné la course en Formule 2. Nous courions en même temps que les F1, sur le circuit le plus dangereux du monde, et j'ai terminé 5ème derrière les F1 de Ickx , Stewart, McLaren et Graham Hill ! Je n'avais pas eu l'ombre d'une appréhension quand je suis monté dans ma Matra...En 1970, quand je suis monté dans la voiture au Mans, au bout d'une demi-heure à son volant, je n'avais pas encore pensé que c'était là que j'avais eu mon accident. Tout d'un coup, je me suis dit : « au fait, c'est là ! » J'ai eu la chance de ne pas être marqué psychologiquement et ça, c'est vraiment de la chance. Je ne pouvais pas savoir comment cela allait se passer, et ça a été une bonne surprise. »
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