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Rétrospective Toyota GT One (partie 3) : Le Mans 1999

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4 juil. 2018 • 10:00
par
David Bristol

Suite et fin de notre rétrospective consacrée à la Toyota GT One... Aujourd'hui, les 24 Heures du Mans 1999 et la fin du programme !

En 1999, la FIA change le règlement GT1 avec, comme conséquence, l’obligation de construire un certain nombre de voitures de série et non plus un seul exemplaire comme par le passé. Suite à sa victoire l'année précédente, Porsche décide de ne pas remettre son titre en jeu. Toyota et Mercedes optent pour la catégorie LMGTP (prototype fermé) tandis que BMW, Nissan et Panoz se décident pour la classe LMP (prototype ouvert). Quant à Audi, nouveau venu au Mans, la marque est présente avec deux LMGTP et deux LMP.

 

Pour répondre au règlement LMGTP, la GT One nécessite très peu de modifications. L’ACO bannit l’ABS et réduit la taille des roues de 19’’ à 18’’ ainsi que celle du diffuseur arrière et la capacité du réservoir de carburant de 10 litres. Toyota commence un vaste programme de développement et de tests dans l’hiver. Du Paul Ricard en passant par Spa-Francorchamps et Barcelone, les GT One effectuent des milliers de kilomètres pour parfaire leur fiabilité. Sur le papier, Toyota est archi favori et les préqualifications en mai le confirment puisque les équipages du constructeur nippon réalisent les 1er, 3e et 5e temps. En juin, trois GT One sont présentes pour décrocher cette victoire que veulent tant les dirigeants de la marque. Côté équipage, Ove Andersson a décidé de faire confiance à la majorité de ses pilotes 1998. Seuls Eric Hélary et Geoff Lees sont remplacés par Allan McNish (vainqueur des 24 Heures du Mans 19998) et Vincenzo Sospiri (champion ISRS 1998 et 1999).

 

Martin Brundle, Emmanuel Collard, Vincenzo Sospiri (Toyota GT-One R36V 3.6L Turbo V8 n° 1)

Thierry Boutsen, Ralf Kelleners, Allan McNish (Toyota GT-One R36V 3.6L Turbo V8 n° 2)

Ukyo Katayama, Toshio Suzuki, Keiichi Tsuchiya (Toyota GT-One R36V 3.6L Turbo V8 n°3)

Lors des essais, les GT One montrent une nouvelle fois leur vélocité sur un tour et réalisent le doublé. Martin Brundle, au volant de la n°1, décroche la pole en 3’29’’930 devant son coéquipier Thierry Boutsen (n°2). Derrière, BMW (vainqueur des 12 Heures de Sebring), Mercedes et Panoz s’accrochent pour suivre le train d’enfer des GT One. Seule ombre au tableau : le modeste 8e temps de l’équipage 100% nippon de la n°3, mais au vue des problèmes rencontrés par Mercedes, Ove Andersson peut se montrer satisfait de ses qualifications.

 

Malheureusement, la première partie de la course va être un véritable cauchemar pour le constructeur nippon qui va perdre ses deux principaux équipages dans deux accidents. Les GT One dominent le début de la course, Martin Brundle bat, dès le deuxième tour, le record en 3’37’’253, une bonne manière de marquer son territoire. Derrière, BMW et Mercedes ne baissent pas les bras et répondent coup pour coup, ce qui nous offre un très beau début d’épreuve avec de nombreux changements de leader entre ces trois marques. C’est vers 20 heures que les ennuis commencent : la n°2 pilotée par Thierry Boutsen rencontre un problème de sélection de vitesses au volant qui lui coûte 23 secondes au stand. A 20 h 38, la n°1 s’engouffre dans son stand, la boîte de vitesses fait des siennes, et plonge les hommes de tête à la dixième place, à dix tours de la BMW V12 LMR n°17.

 

Chez Toyota, on commence à douter, mais la course prend subitement une autre tournure. Il est 20 h 47 et, pour la seconde fois de la journée, une Mercedes CLR s’envole sur la piste sarthoise. Après quelques minutes, Norbert Haug, le patron de Mercedes Motorsport, donne l’ordre à ses troupes de tirer le rideau. BMW et Toyota sont maintenant seuls en piste pour la victoire à moins que l’un des outsiders, Nissan, Panoz ou Audi, ne viennent tirer les marrons du feu.

Vers 22 heures, la Toyota n°2 repointe en tête devant la BMW n°17. A peine le temps de retrouver le sourire dans le camp japonais qu'à 22 h 33, Martin Brundle perd le contrôle de sa GT One et tape le rail, pneu éclaté, direction touchée, la voiture se traîne dans des gerbes d’étincelles. En dépit de tous ses efforts pour revenir, le Britannique doit abandonner à Arnage. A 3 h 08 du matin, nouveau coup dur pour les rouges : à l’entrée de la courbe Dunlop, Thierry Boutsen est victime d’un accrochage avec la Porsche GT2 n°66. La GT One n°2 est totalement détruite, immobile dans le bac, le pilote belge reste dans l’habitacle. Les secours extraient le pilote qui se sort de cette terrible sortie de piste avec une fracture de la seconde vertèbre. Les espoirs de la firme japonaise ne reposent plus que sur l’équipage de la n°3 qui est, à ce moment de la course, 4e à quatre tours des deux BMW et de l’Audi R8R n°8.

 

L’équipage de la n°3 hausse le ton pour tenter de revenir dans la course à la victoire. A 11 heures : la GT One n°3 continue sa remontée et se rapproche de la seconde place détenue par la BMW LMR V12 n°15. Il est 11 h 55 quand, subitement, les espoirs de victoire renaissent dans le camp japonais. JJ Lehto sur la BMW LMR V12 n°17, leader de la course depuis le milieu de la nuit, sort violemment dans la nouvelle portion. Le pilote finlandais est touché au genou et doit abandonner. La dernière heure de course se profile à l’horizon et une petite minute sépare la BMW LMR V12 n°15 de la Toyota GT One n°3. Ukyo Katayama est tout simplement déchaîné et grappille seconde par seconde. Au 346e passage, il fixe le record du tour en 3’35’’032.

 

Malheureusement pour Toyota, cette course lui réserve un nouveau coup du sort : peu avant Indianapolis, le pneu arrière gauche de la GT One n°3 éclate et le pilote japonais est tout heureux d’éviter la sortie de piste. Retour au stand, changement de la roue et il repart mais, cette fois-ci, le rêve touche à sa fin et le trio japonais doit se contenter de la seconde place derrière Joachim Winkelhock, Pierluigi Martini et Yannick Dalmas.

En novembre 99, la Toyota GT One dispute la dernière course de son histoire à l’occasion des 1000 km du Mont Fuji. Une fois de plus, la réussite ne sera pas du coté de Toyota. Après avoir réalisé la pole, victime d’un problème technique (batterie) et d’une pénalité, l’équipage nippon Ukyo Katayama, Toshio Suzuki, Keiichi Tsuchiya devra se contenter une nouvelle fois de la seconde place derrière Erik Comas, Satoshi Motoyama et Masami Kageyama (Nissan R391).

 

Fin 99, le programme GT One, prévu pour deux ans, touche à sa fin. Il faudra attendre 2012 et la création du WEC pour revoir Toyota en endurance via sa TS030 Hybrid. Les 24 Heures du Mans, course très importante aux yeux des japonais, est le principal objectif de la marque. Le constructeur nippon remporte le WEC en 2014 grâce à Sébastien Buemi et Anthony Davidson. Cependant, Le Mans se refuse toujours à Toyota qui passe près de la victoire à deux reprises en 2014 et surtout en 2016 (à quatre minutes du drapeau à damiers). 2018, soit 20 ans après la première apparition de la GT One en Sarthe, marque l'année de la consécration avec un doublé des TS050 Hybrid !

Certes, la GT One n’a jamais gagné, mais elle reste comme l’une des icônes des années 90 au Mans et, lors de nos "5 questions à...", bon nombre de pilotes nous ont cité cette auto comme celle qu'ils auraient aimé piloter ! Les courbes dessinées par l’équipe d’André De Cortanze n’y sont surement pas étrangères !

 

L'édition 1999 vue par Ange Pasquali, team manager : « Encore une fois, ce fut un moment magique, au début, mais pas la suite car nous avons perdu deux voitures. Martin Brundle puis Thierry Boutsen avec un terrible accident où j’ai vécu les vingt minutes les plus longues de ma vie puisqu'il était resté bloqué dans la voiture. J’étais à la direction de course, je parlais avec le directeur de course et le médecin. J’essayais de guider au mieux leur intervention. On m’appelait toutes les deux secondes pour me demander des nouvelles et je dois dire que l’on ne savait pas s’il allait sortir vivant. Aujourd’hui encore, j’en ai la chair de poule. Ça a été quelque chose de très difficile à vivre. Après, il est sorti de la voiture, emmené au centre médical et transféré à Paris, à la Pitié-Salpêtrière. Notre docteur de l’époque, Jean Doubit, qui a de très bonnes relations avec le professeur Saillant, avait tout organisé, Thierry était dans de très bonnes mains. Un fois de plus, ce fut très dur à vivre, mais c’est le sport automobile.

 

Nous avions toujours une voiture en course et on devait se replonger dans l'épreuve. Quand on a su que Thierry était hors de danger, que l’on avait évité le pire, nous nous sommes réunis dans le stand. Il y avait André, Ove, et moi. Nous avons parlé à Ukyo (Katayama) et Keiichi (Tsuchiya), on leur a dit que maintenant on comptait sur eux. « Vous pouvez le faire, il faut remonter la pente, relever la tête. On avait trois voitures, on n'en a plus qu’une. Il faut y arriver, nous avons besoin de vous. » Là, on a découvert ce que voulait dire « banzaï ! » en japonais. Il s’est passé un truc, ils se sont mis à tourner en 3'35, 3'36 ! A chaque fois, ils sortaient vidés de la voiture et s’effondraient ! Les relais se passaient sans problème, c’était comme dans un rêve. Ils fondaient sur la concurrence pour arriver à un moment donné à une trentaine de secondes de la BMW de tête. Nous avions un arrêt au stand en moins, donc nous étions virtuellement premiers. A une quarantaine de minutes de l'arrivée, Ukyo a eu cette crevaison (à l’arrière gauche un peu avant Indianapolis. Une fois au stand, le temps de vérifier et réparer la suspension ainsi que divers éléments, de changer les pneus et ravitailler en carburant, l’équipage avait perdu un tour et la première place, ndlr). Notre trio japonais a fait un travail exceptionnel. Ça a été une deuxième place frustrante, mais, en même temps, un truc magique. L’arrivée a été géniale parce que tout le monde est tombé dans les bras des uns des autres, on pleurait… Ç'était un mélange de joie et d’amertume. Ce fut vraiment, vraiment, dur, mais beau à la fois. 

 

Ensuite, il y a eu cette décision de ne pas revenir au Mans car on allait en F1, on ne peut pas tout avoir. A l’époque, nous avions demandé, avec André, à la direction de Toyota de continuer. Pas forcement avec trois voitures afin de minimiser les coûts et de limiter l’implication de l’équipe pour ne pas pénaliser le programme F1. Cette décision a été dure pour toute l’équipe et aussi que pour nos pilotes. Ce fut une superbe aventure, avec tout le monde, qui a laissé une empreinte incroyable ! »

 

Un grand merci à Laurent Cartalade pour sa précieuse collaboration à cette "rétro" !

 

Photos Toyota Motorsport

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