Ricardo Divila (part 2) : "Je tenais à venir tous les ans au Mans, c’étaient mes vacances de l’année !"
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10 mai. 2020 • 13:20
par
David Bristol
Deuxième partie de notre interview de Ricardo Divila, l’ingénieur brésilien aux 33 éditions des 24 Heures du Mans. Nous l'avions laissé, dans notre première partie, sur la Nissan GT-R LM. Il nous raconte la suite...« Nous avons fait une voiture à moteur avant, roues avant motrices avec un système de récupération d’énergie cinétique. L’idée était donc d’utiliser moins de carburant et plus de puissance hybride. Nous avions la chance de faire 8 mégajoules. En tout cas, tout cela était 'une usine à gaz'. Quand on a commencé le programme, j’ai plutôt négocié sur la conception, l’aéro, la dynamique de la voiture. Ensuite, Andy Palmer, vice-président exécutif chargé de la planification des produits et des programmes chez Nissan, est parti (il a rejoint Aston Martin, ndlr). En plus, Nissan voulait engager trois voitures au Mans, ce n’était pas possible car, de la conception de la voiture à sa mise en piste, cela ne représentait que 14 mois.»« Je suis un vieux de la vieille, je sais le temps que cela peut prendre. Nouvelle voiture, nouveau moteur, nouvelle aéro, nouvelle conception, une nouvelle usine, de nouveaux mécanos. C’était impossible ! Je dois dire que ce fut un miracle de pouvoir aligner les trois LMP1 au Mans. Elles n’étaient même pas prêtes, on n’avait que 540 chevaux, traction avant. Pas d’ERS non plus donc on ne pouvait pas récupérer d’énergie des deux roues avant et du coup le système de freinage ne fonctionnait plus correctement. Sans ce système de récupération, on cramait les disques en trois tours. On avait fait faire un pneu spécial chez Michelin pour cette voiture. Au Mans, on n’arrivait pas à rouler, on n’avait pas l’ERS, enfin il a marché quelques fois, on avait alors 1100 chevaux! La seule façon de faire plus de tours était de mettre des étiers plus grands et, pour faire cela, nous devions utiliser les pneus arrières des autres LMP1. Leur carcasse est plus souple. Cela avait, par contre, pour conséquence trop de friction latérale et trop de pompage. Nous avions tellement de charge à l’avant que, quand la voiture roulait à une certaine vitesse, cela commençait à pomper, au point de lever les roues du sol ! Nous avons eu tous ces problèmes, mais, avec quand même, l’obligation de les faire rouler. On savait que le projet était mort, mais pour survivre, il fallait que la voiture roule au Mans et qu’on arrive à la faire finir ! Par contre, ce fut l’un des projets les plus intéressants que j’ai jamais faits ! On a travaillé 14 heures par jour, tous les jours pendant 14 mois ! »On reverra encore Ricardo au Mans à deux reprises, mais il a surtout continué de gérer les Nissan de RJN Motorsport même après que Nissan ait retiré son soutien à son programme européen. Il est aussi resté un visiteur régulier des paddocks de course de voitures de sport du monde entier.
De toutes ses venues et expériences aux 24 Heures du Mans, nous avons demandé à Ricardo Divila de citer les pilotes qui l'ont le plus impressionné. Il en a cité trois, tous de la même équipe. « Je suis un fan d’Henri Pescarolo, c’est quelqu'un de fantastique. J’ai fait ses dernières courses avec lui quand il était encore pilote. J’ai aussi vraiment aimé travailler avec Sébastien Bourdais. Je me rappelle, à un moment, il était derrière les trois Audi de tête, à leur poursuite. Il était gamin à l’époque, mais quand il était au volant, il était magique ! J’ai apprécié Sébastien Loeb aussi qui a roulé chez Pescarolo Sport. Cette année-là, je râlais car, d’habitude, j’étais sur la voiture d’Erik Comas, Franck Lagorce… En plus, c'est un pilote de rallye ! Là, ils m’ont mis sur la #17. Nous avons fait des essais avec lui au Paul Ricard, une journée de presse PlayStation. Les pilotes ont roulé dont Sébastien Loeb et j’avais trouvé qu’il était pas mal ! Et au final, c’est lui qui a été le plus rapide, il a été fantastique au Mans. Il m’a impressionné, c’était tellement loin de ce qu’il pouvait connaitre en rallye. Sa vitesse, sa précision, son application ! Je me rappelle qu’il devait se qualifier lors de la Journée Test, il devait faire dix tours. Il est arrivé en jet en direct du Rallye de Turquie pour faire ses boucles. Quelle histoire ! Passer d’une voiture de rallye à une LMP dans la même journée comme cela, chapeau ! »
Quand on évoque le nom d'Henri Pescarolo, l’œil s'illumine tout de suite. Son admiration pour l’homme au casque vert est sans borne. « J’ai rencontré Henri Pescarolo en Formule 1, j’ai fait plus de 280 Grand Prix, et même avant avec la Formule 2. Il était alors chez Matra puis Williams en 1971. Ensuite il a gagné quatre fois Le Mans et je l’ai eu comme pilote chez Courage Compétition. On s’entendait très bien ! Après cette équipe, je suis resté avec lui et il y a eu la période avec La Filière. Puis, comme je l’ai dit, j’ai participé à toute l’aventure Pescarolo Sport. Son problème était de trouver des sous car lui, c’était la voiture et l’équipe qui l’intéressaient. Chaque sou était compté et quand on voit ce que l’on a réussi à faire sur certaines années, avec ces budgets, c’est fou ! L’année où Sébastien Loeb (2005) faisait partie de l’écurie, on avait un million et demi pour toute la saison ! A cette époque, on faisait face à Audi et ses 25 millions… Il avait réussi à réunir une superbe, mais petite équipe autour de lui, qu’avec des passionnés. Pour un ingénieur comme moi, c’était un paradis. Il n’y avait pas besoin de faire des listes, les mecs savaient exactement quoi faire car ils étaient très bien rodés, tout le monde connaissait son métier. Je le redis, c’est incroyable les résultats que nous avons pu faire ! »
Plusieurs voitures l'ont marqué comme la DeltaWing, les autos de Pescarolo Sport mais une autre l'a marqué ! « Une année, j’ai eu les deux Bell, Justin et Derek sur une Porsche 962 (engagée par ADA Engineering en compagnie de Tiff Needell, 12e au général). C’était la première année avec les freins Brembo et je m’en rappelle bien car nous avons eu des soucis, nous avons dû changer les étriers au milieu de la course, sinon on ne finissait pas. J’ai eu tellement de plaisir à faire rouler ces 962 ! J’adorais cette voiture. »Nous laissons le mot de la fin à Ricardo Divila. L'homme était un inconditionnel de la course sarthoise et cette citation résume son amour à la perfection ! « J’ai fait un paquet d’années ici. On a eu des journées et des nuits de rêve. De toute façon, tous les Le Mans sont magiques !» Il s'arête alors, regarde autour de lui et conclut... « "Je tenais à venir tous les ans au Mans, c’étaient mes vacances de l’année. Qu'est ce que c’est beau ici ! (rire) ! » Merci Ricardo....Merci aussi à Nicolas d'avoir rendu cette rencontre possible. Photos de Nissan, Eric Fabre, MPS Agency, Claude Foubert, Bruno Vandevelde et Michel Faust.
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