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Pierre Dieudonné : "Il faut savoir vivre avec son temps"

Endurance Info
8 juin. 2021 • 12:50
par
lmercier
A 74 ans, Pierre Dieudonné arpente toujours les paddocks. Vous le croiserez chez Team WRT en GT3 et vous le verrez aux 24 Heures du Mans en août prochain au sein de l'écurie belge. L'ancien pilote fait partie des personnes plus respectées. Toujours bienveillant, souriant, disponible, la parole du Belge est écoutée. Il y a 10 ans, Pierre Dieudonné se confiait à Endurance-Info. Le titre était "Il faut savoir vivre avec son temps".
Pierre Dieudonné

Le texte de l'entretien avec Pierre Dieudonné n'a pas été retouché, il est dans son jus de 2011. Pourquoi republier cet article ? Le mois dernier, nous échangions avec Pierre dans le paddock de Monza devant la structure Fanatec où 24 pilotes allaient se battre sur une course virtuelle qui donnait des points au championnat réel.

 

Peu de temps avant le départ de la course, Pierre Dieudonné, nous lâchait avec le sourire : "Il faut savoir vivre avoir avec son temps". Cela tombait plutôt bien puisque c'était le titre de l'entretien publié en 2011. 

 

Il faut vivre avec son temps...

 

« Ce qu'il faut, c'est arriver à faire rêver le public et contribuer au progrès du monde dans lequel nous vivons. L'Endurance telle qu'on la vit depuis deux à trois ans était dans un esprit rétrograde. La vitesse en voiture ne fait plus rêver personne, sauf des fans comme nous. Il y a plusieurs dizaines d'années, aller vite sur la route avait une signification, mais cette époque est belle et bien révolue. Cela va à l'encontre de l'évolution de l'humanité et il ne faut pas aller à contre-courant. Il faut ouvrir la porte sur l'avenir à toute recherche qui sera utile à l'industrie automobile et aux consommateurs. Il faut savoir vivre avec son temps. »

 

Une même quantité d'énergie pour tout le monde...

 

« Le sport automobile n'est pas comparable aux autres sports. De tout temps, la source du sport auto est l'industrie et tout ce qui gravite autour. Il y a eu le pétrole et maintenant ce sont directement les constructeurs. Les budgets dépensés sont énormes et les privés essaient d'en faire partie avec leurs propres moyens. Depuis des années, on a développé le côté marketing et non pas technique. Le constructeur fait un moteur et on le bride. Cela n'a aucun intérêt. Pour ce qui est du développement aéro, il y a peu de relation avec les modèles de route. Rouler de nos jours à 160 km/h sur les routes est un acte répréhensible et que beaucoup qualifient de criminel. On ne peut plus communiquer sur la vitesse. C'est plus fort de dire que les nouvelles technologies utilisées seront celles que l'on retrouvera dans les voitures de tous les jours. Il suffit de prendre l'exemple de la récupération d'énergie. C'est l'actualité automobile et cela a un vrai sens. Des constructeurs peuvent justifier de faire travailler des ingénieurs sur le sujet. La course automobile est un accélérateur de progrès et un moyen de faire travailler des hommes à 150% en étant content de le faire. Des gens comme Bruno Famin ou Ulrich Baretzky travaillent jour et nuit pour des choses passionnantes. Là on peut former de nouveaux ingénieurs comme Honda l'a fait. N'oublions pas que les GT actuelles sont dérivées des modèles de série. L'industrie automobile est en pleine métamorphose et cela fait dix ans que l'on aurait dû tenir compte de ce facteur là. »

 

Un nouveau challenge aux 24 Heures de Spa...

 

« Je reviens sur l'édition 1995 des 24 Heures de Spa où les voitures de tourisme étaient les reines de l'épreuve. Seul BMW avait des autos pour faire réellement de l'endurance. Les constructeurs ne venaient plus depuis l'arrivée des « Tourisme », soit de 1964 à la fin des années 80. Nous avons eu alors l'idée de faire une course dans la course réservée aux autos utilisant de nouvelles technologies. Il fallait ouvrir la porte aux Diesels, ce qui n'existait pas encore. C'est là que sont arrivés Peugeot, VW, Renault et BMW. En trois ans, cela a pris de l'ampleur et il y a eu de l'intérêt. Il y a ensuite eu une deuxième catégorie pour aller encore plus loin, avec l'hydrogène ou le GPL. Pour rappel, en 1997 la BMW 318 TDS (Menzel/Naspetti/Kox) se classa 3ème au général, derrière les 2 BMW 320i Supertourisme, tandis qu'une Golf TDI de Volkswagen Motorsport se classait 4ème. Peu avant Spa, cette BMW (équipé du moteur 4 cylindres 16 soupapes) qui allait bientôt apparaître en série, fut engagée aux 24 Heures du Nürburgring (les organisateurs ayant suivi notre idée et ouvert leur épreuve aux Diesels) : elle y réalisa la pole, créant la surprise (Marc Duez). Un an plus tard, elle s'imposait avec Schnitzer au Nürburgring (Duez/Bovensiepen/Menzel/Stuck), ce qui devint la première victoire d'une voiture Diesel dans une course de 24 Heures."

 

"A Spa malheureusement, les organisateurs décidèrent de passer de la réglementation Supertourisme à du groupe N national (2 litres maxi) en 1998: la difficulté de mélanger les genres incita à suspendre le Challenge EcoTech et l'épreuve continua de péricliter, ce qui justifia le passage au GT à partir de 2001. »

 

Les Diesels et Le Mans...

 

« C'était inévitable que les « Diesels » allaient arriver au Mans, mais cela a mis du temps. Le Mans avait trouvé une formule fantastique avec le Groupe C, et une certaine quantité d'essence pour faire la course. Il fallait se débrouiller avec et travailler sur la consommation. Le but était d'apprendre à aller vite sans trop consommer. Il y a eu une décennie de stabilité, soit de 1982 à 1991. La stabilité est le problème actuel, car il n'y a pas de vision sur le long terme. Pourquoi ne pas partir maintenant sur ce même principe, soit une même quantité d'énergie. L'organisateur sait combien de calories les autos consomment. Cela encouragerait le développement de l'énergie perdue au freinage, et dissipée en chaleur. Une formule comme celle-ci accélérerait toutes ces recherches. C'est simple à mettre en place et à expliquer aux gens. Il faut aller le plus vite avec la même quantité d'énergie. Lorsque ça va trop vite, on diminue les mégajoules. Audi ou Peugeot investissent de sommes folles. Le règlement est donné en décembre, et après Sebring on change les brides, soit trois mois avant les 24 Heures du Mans. Il faut tout refaire derrière. Le grand public n'y comprend plus rien et même nous, nous avons un peu de mal. »

 

Internet devenu indispensable...

 

« Il y a trop de séries. Plus le choix est important, plus le gâteau est morcelé. C'est la même chose en monoplace. On finit par avoir du mal à connaître la valeur des uns et des autres. Le Mans reste magique et cette course devrait être un concurrent de la Formule 1 en termes d'audience et d'investissements consentis. Il faut bien se rendre à l'évidence que tout bascule vers le Web. On l'a partout avec une très bonne qualité. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour suivre ce qui m'intéresse, que ce soit le GT1 ou le GT Tour. On ne peut pas s'en passer. Combien de gens ont pu suivre le Live-Texte sur Endurance-Info durant les 24 Heures du Mans ? On peut regarder quand on veut où que l'on soit. J'ai tellement apprécié que j'aurais voulu la même chose pour le Petit Le Mans. Quand tu te connectes, tu y restes. C'est captivant ! Tu comptes y rester cinq minutes et tu y passes une heure. »

 

Mazda et un éventuel retour au Mans...

 

« Concernant le retour de Mazda au Mans, la flamme est bien là et le livre retraçant l'épopée Mazda donne des envies. Cela fait partie de leur histoire, mais il y a la réalité économique et le terrible tsunami du printemps. La situation n'est pas facile. On peut que voir que des gens comme Patrick Dempsey poussent dans le sens d'un retour, et Mazda North America est dynamique. Il faut commencer petit pour évoluer au fil du temps. Mazda ne peut pas rivaliser contre Audi ou Peugeot. Toyota ou Nissan ont plus de moyens. Le moteur rotatif est hors jeu et il faut travailler sur le skyactive du rotatif. L'envie est bien là, mais il faut être réaliste. Totoya a réalisé de belles choses au Nürburgring en allant vite sur 22 km. Il faut laisser la meilleure technologie s'imposer. On peut être sur une solution hybride, thermique/électrique. Le monde va continuer de changer. On ne reviendra jamais en arrière. Le moderne se doit d'être tourné vers l'avenir. »

 

« Aujourd'hui, une course d'endurance c'est une même quantité d'énergie pour tout le monde. C'est le défi du moment. Comment utiliser au mieux une énergie rare et chère... C'est le même cas avec l'eau. La cohabitation Usine/Privé est inéluctable. L'écart est pour le moment trop important. C'était la même chose au Mans du temps des Mercedes CLK, alors qu'aujourd'hui la catégorie GT est tout de même assez équilibrée. Le réglementation se doit d'être simple et logique et ce n'est pas forcément le cas. BMW aurait dû rouler au Mans avec la technologie diesel. Ils avaient la voiture et le moteur, mais l'idée n'est pas allée à son terme... » 

 

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