Hommage

Gil de Ferran, le "Yoda" de Simon Pagenaud

IMSA
30 déc. 2023 • 15:30
par
Thibaut Villemant
Ce matin, la nouvelle concernant le décès de Gil de Ferran a jeté un grand froid sur la planète sport automobile. Après une brillante carrière de pilote, le Franco-Brésilien a servi les intérêts de Honda, tout en jouant un grand rôle dans la carrière d'un Français que vous connaissez bien sur Endurance-Info : Simon Pagenaud.
© Honda

Chaque jour je mesure la chance que j'ai de faire ce métier de journaliste. Il y a quelques semaines encore, j'ai coché une des dernières cases de ma to do list en assistant pour la première fois au Grand Prix de Macao, l'un des rares événements de grande envergure qui manquait à mon tableau de chasse depuis mes débuts en tant que stagiaire en août 2009. En haut de celle-ci, trônait un monument du sport automobile : les 500 miles d'Indianapolis, l'un des trois joyaux de la Triple Couronne avec le championnat du monde de Formule 1 et les 24 Heures du Mans.

 

➡️ Sur le même thème :

 

Mon vœu a été exaucé en 2012. Cette année-là, j'ai eu la chance de me rendre dans ce que les Américains appellent The Racing Capital of the World, pour assister à la première participation de Simon Pagenaud à cette épreuve mythique qui le fera entrer à jamais dans le panthéon du sport automobile sept ans plus tard, quand le Poitevin rejoindra au palmarès celui qui était son mentor : Gil de Ferran.

 

Ce que je vais vous conter est assurément l'un de mes meilleurs souvenirs de sport automobile... Sur la grille de départ, la tension est à son comble. L'hymne national, l'hommage rendu aux militaires, le prêche du prêtre d'Indianapolis font augmenter encore de plusieurs crans la tension étouffante régnant dans cette enceinte aux allures d'immense stade de foot. Présentés les uns après les autres, les pilotes sont acclamés, adulés, élevés au rang de héros pour ne pas dire de gladiateurs, terme que les intéressés réfutent. Dans quelques instants, les 33 monoplaces vont s'élancer sur l'un des superspeedways les plus rapides de la planète à près de 400 km/h.

© IndyCar Media

Sylvie, la maman de Simon, est en pleurs. Si son fils est sur le point de réaliser l'un de ses rêves les plus fous, elle est pétrifiée. Vainqueur en 2003 ⬆️, Gil de Ferran la serre alors dans ses bras comme pour tenter de la rassurer même si le Brésilien sait trop bien que c'est peine perdue... Mais sa carrure, son visage rond, son sourire lui donnent un air réconfortant.

 

Gil, pour les Pagenaud, c'est un peu comme un membre de la famille. Quelques heures auparavant, il m'avait accordé un entretien dans le motorhome de son Padawan. C'est le surnom qu'il donnait à son ami poitevin, qui nous l'avait présenté en nous disant : « Thibaut, je te présente mon Maître Jedi, mon Yoda. » Jamais il n'avait regardé sa montre alors que son temps était compté.

 

Maître Jedi, le terme n'a rien de galvaudé, et quand il a visité pour la première fois l'antre du Team Penske, à Charlotte, quatre ans plus tard, Simon a forcément dû avoir un pincement au cœur quand il a lu sur les murs de la salle de sport une phrase prononcée par son mentor : « Je suis fier de porter ces couleurs car je connais les gens qui les ont défendues avant moi ». Et si Simon a été fier de revêtir cette tunique à laquelle il a tant fait honneur, c'est aussi parce que son mentor auriverde l'a enfilée avant lui, gagnant deux titres en CART et une victoire à Indy 500.

© Honda

Pour comprendre les liens unissant les deux hommes, il faut remonter quelques années auparavant. Alors qu'il sortait d'une première saison très encourageante en Champ Car, Simon s'était retrouvé le bec dans l'eau en raison de l'arrêt de cette série anciennement appelée CART. Le Français a alors pensé revenir sur le Vieux Continent, voire à tout arrêter, jusqu'à ce qu'il reçoive un coup de fil inattendu lui proposant un volant en American Le Mans Series ⬆️.

 

« Je ne le connaissais pas du tout personnellement, avouera plus tard Gil de Ferran. Mais j'avais été impressionné par ses résultats quand il est arrivé aux Etats-Unis en 2006. Il a gagné la Champ Car Atlantic (antichambre du Champ Car. Ndlr) alors qu'il n'était qu'un rookie. A l'époque, le niveau de ce championnat était très relevé. Réussir à décrocher le titre dès sa première saison, alors que vous êtes loin de chez vous et que vous avez tout à découvrir, ce n'est pas rien. Il effectuait un saut dans l'inconnu. J'ai trouvé quelqu'un d'extrêmement sérieux, cherchant à peaufiner dans les moindres détails tous les aspects du métier. J'ai donc pris le risque de miser sur lui. » Le risque s'est avéré payant. « Nous avons extrêmement bien travaillé ensemble et nous nous sommes très bien entendus, avait poursuivi Gil. Il y avait une super atmosphère dans l'équipe. Il n'y était pas étranger et il n'a jamais cessé de s'améliorer. »

 

Un changement de carrière que Simon a évoqué non sans nostalgie dans nos colonnes il n'y a pas si longtemps. « Quand je suis arrivé dans l’équipe de Gil, ma façon de conduire était un peu "brute", avait-il confié. La vitesse n’était pas un problème, mais quand j’ai entendu Gil s’adresser aux ingénieurs d’Acura sur la façon de régler le contrôle de traction par exemple, j’ai été époustouflé. Je pouvais ressentir beaucoup de choses en conduisant, mais c’est une toute autre histoire de transmettre cela à un ingénieur. La façon dont Gil appréhendait la course a été capital pour moi. Je me souviens d’être assis avec lui au dîner ou sur son patio et de parler pendant des heures sur la façon d’aborder certains virages avec telle voiture ou de comprendre l’évolution de la piste à Indianapolis durant le mois de mai. Il m’a dit comment la température et le vent changeraient chaque jour et comment garder un état d’esprit calme tout au long du processus de réglage de la voiture en tenant compte de toutes ces variables. En d’autres termes, Gil était mon Yoda. La force était avec moi, mais je n’avais pas encore la sagesse nécessaire pour l’utiliser correctement. »

© Honda

Gil est très vite devenu, comme aimait à le dire Simon, son « confident », son « professeur », mais surtout son « ami ». Ce passage non prévu en American Le Mans Series que lui a permis d'effectuer Gil de Ferran remettra le pied à l'étrier à Simon, qui deviendra l'un des chouchous de Acura / HPD. Titré en 2010 (avec Highcroft Racing), Simon effectuera ses premiers tours de roues en IndyCar l'année suivante, avant d'être titularisé en 2012. La suite, on la connaît. Mais même quand il a enchaîné les succès, Simon n'a jamais cessé de faire appel à son « conseiller » brésilien.

 

L'amitié entre les deux hommes n'a en rien été entachée par le passage du Français dans le clan Chevrolet, quand il a quitté Sam Schmidt Motorsports pour Team Penske. « Il devait se retenir de ne pas exploser de joie dans le réceptif Honda quand Simon gagnait » m'avait un jour confié Sylvie, la maman de Simon.

 

Gil, lui, n'a jamais quitté Honda, même s'il a également servi les intérêts de McLaren, où il a côtoyé un certain Fernando Alonso, qui ne tarissait pas d'éloges à son sujet. Comme le dit l'ami Lolo dans son témoignage : quand vous quittez cette terre, vous avez toutes les qualités du monde même si vous étiez le pire des enfoirés. Mais Gil de Ferran faisait réellement l'unanimité, c'était juste quelqu'un de bien...

 

 

Et parmi ses fans, il y a bon nombre de Français. Pas parce que le regretté Brésilien est né à Paris, mais bien parce que sans lui, et ce même s'il refusait de l'entendre, Simon Pagenaud n'aurait pas accompli la carrière qu'il a embrassée. Simon, qui a publié il y a quelques heures un message poignant sur ses réseaux sociaux. « Mon Ami Gil, j’ai tellement de choses à dire et pourtant rien ne peut décrire la douleur de te voir partir aujourd’hui ! Tu vas me manquer dans mes moments de joies, mes moments de doutes et entre chacun d'entre eux ! Tu as été mon modèle dans la vie et je ressens un vide énorme là maintenant ! Je t’aimerai pour toujours mon Yoda. Je pense très fort à Angela, Anna et Luke dans ces moments si difficiles. »

 

Nous aussi, tout comme nous pensons aujourd'hui à Simon et à tous ceux qui ont eu la chance de côtoyer cette légende partie bien trop tôt. MONSIEUR Gil de Ferran, vous allez laisser un grand vide dans les paddocks. Mais pour tout ce que vous avez apporté à Simon et donc, indirectement, au sport automobile français : MERCI !

Commentaires (1)

Connectez-vous pour commenter l'article

zorglub18

31 déc. 2023 • 15:20

Et quelles sont les nouvelles concernant Simon Pagenaud ?