Les Porsche 936 aux 24 Heures du Mans : (presque) tout était écrit...
Après nos dossiers Toyota GT One et Porsche RS Spyder, nous vous proposons de brosser le palmarès aux 24 Heures du Mans d'une autre auto de légende. 9.3.6. Trois chiffres qui évoquent une époque, une légende liée à jamais aux 24 Heures du Mans. Créée pour reconquérir la couronne suprême, la Porsche 936 fut magnifique et rayonna sur le monde de l’endurance de 1976 à 1981. Entre phénomènes surnaturels et frustration, voici le parcours atypique de ce prototype.
Née pour gagner
Si la 936 est un nouveau modèle, sa conception se base sur des créations existantes. Porsche voulait régner de nouveau le monde de l’endurance, et ce via l’introduction de la catégorie « Groupe 6 », succédant à une formule différente du même nom, effective de 1966 à 1971. Le règlement imposait une cylindrée de 3000 cc pour les voitures atmosphériques, et de 2140 cc pour les voitures suralimentées. Cette dernière technologie, intégrée aux célèbres Carrera RSR Turbo, séduisit Porsche qui décida d’opter pour ce 6 cylindres à plat turbo de 2142 cc. La 936 reprend ainsi des éléments de différentes voitures de la firme, comme le châssis, inspiré de la 908. La carrosserie, elle, ressemble à celle des anciennes 917/10 et 917/30, monstres mécaniques utilisés en Amérique du Nord pour le championnat Can-Am au début des années 1970. En assemblant ainsi les pièces saines et qui ont fait leurs preuves, Porsche tient quelque chose de fort. Sans avoir posé une roue sur une piste, la voiture a d’ores et déjà une âme, une nature victorieuse. Avec 700 kg, 540 chevaux et une vitesse de pointe estimée à 350 km/h, les Allemands ne se déplacent pas pour rien.
Avril 1976. La formation de Zuffenhausen s’engage pour sa première course avec la ‘nouvelle’ machine.Qualifiée deuxième, la 936 noire (châssis 001), sponsorisée par Martini et maîtrisée par Rolf Stommelen, ne termine pas mieux que cinquième des 300 kms du Nürburgring, à 3m50s du vainqueur, une performance respectable.
Vingt jours plus tard, Jacky Ickx et Jochen Mass s’alignent au départ des 4 Heures de Monza – cette fois sur la 936 002 -, ultime préparation avant les 24 Heures du Mans en juin. Pôle position, et victoire à la clé. Martini Racing Porsche System, nom de l’écurie officielle, décide alors d’emmener trois 'monstres' dans la Sarthe : la 936 001 (#18) pour Reinhold Joest, accompagné de Jürgen Barth, tandis que le duo Ickx/Van Lennep conduit la 936 002 (#20). Manfred Schurti et Rolf Stommelen se voient attribuer une 935 (#40), « au cas où ».
« Je me sentais bien. »
Dans une édition débridée, où l’on peut apercevoir quelques voitures de NASCAR sur la piste, Alpine-Renault fait figure d'adversaire numéro 1 (ainsi que les deux Mirage GR8). Les Français viennent tâter le terrain, en vue d’imposer, eux aussi, leur technologie V6 turbo. Porsche a l’avantage du nombre : une seule voiture frappée du losange se présente, mais signe la pole position en 3:33.100 "collant" plus de six secondes à la meilleure des Porsche 936 usine pourtant 2e temps. La vitesse naturelle de Jean-Pierre Jabouille, à laquelle l’on a greffé Patrick Tambay et José Dolhem, permet à la formation tricolore de croire en ses chances. Mais dans les faits, tout ne se passe pas comme prévu. L’Alpine Renault A442 doit composer avec un allumage récalcitrant et est contrainte à l’abandon tôt dans la course. À partir de là, Porsche n’a plus qu’à se soucier de ses propres problèmes. D’ailleurs, un grave pépin moteur empêche la 936 du duo Joest/Barth de terminer. Sans trop de suspens, l’autre 936 remporte la victoire avec 11 tours d’avance sur la Mirage MR8 Ford #10 de Jean-Lois Lafosse / François Migault. Jacky Ickx entérine d’autant plus sa légende en prenant un troisième succès, tandis que la 935 domine également sa catégorie : coup de maître allemand. Ickx termine l’année en beauté avec une troisième place à Mosport dans le cadre du championnat du monde des voitures de sport.
Une deuxième victoire au Mans en ligne de mire
Les espoirs sont élevés pour 1977. Le calendrier est limpide. Seules les 24 Heures du Mans sont en vue. La tâche s’annonce plus ardue : quatre A442 pilotées uniquement par des légendes s’opposent à Porsche. Jacky Ickx et Henri Pescarolo emmeneront une 936 revue (936/77 #3), affinée et taillée pour les sept kilomètres des Hunaudières, quand Hurley Haywood et Jürgen Barth essayeront de faire triompher la 936/77 001 #4. Jean-Pierre Jabouille, encore lui, prend la pole position pour Alpine Renault pour la deuxième fois consécutive. La vitesse des jaunes et blancs est ahurissante. Mais dès l’abaissement du drapeau, les problèmes de fiabilité des Français refont surface avec un début d’incendie qui élimine l’Alpine-Renault #16 (René Arnoux, Didier Pironi, Guy Fréquelin) après moins d’une heure de course. Le sort ne semble, cette fois, pas épargner les allemands. La #4 s’enlise au classement suite à un changement de pompe à injection et la #3 abandonne : ‘Pesca’ est rentré aux stands suivi d’une épaisse fumée bleue.
Jacky Ickx est envoyé en renfort sur la #4. Depuis les tréfonds du classement commence une remontée hallucinante. Jacky Ickx, pendant des heures et des heures, ne touche plus terre. Le Belge enchaîne les tours rapides sans céder. Sa 936 ne lâche pas et répond parfaitement. Jacky Ickx parvient à remonter la voiture en première position, toutes les Renault ayant connu de trop grosses casses. Encore à l’heure actuelle, Ickx ne sait expliquer sa performance. « Je me sentais bien » dit-il. L’arrivée rocambolesque, sur cinq cylindres, est connue de tous, mais Porsche s’impose tout de même avec 11 tours d’avance encore une fois sur une Mirage GR8 pilotée par Vern Schuppan et Jean-Pierre Jarier. La performance du belge s’inscrit dans la lignée des plus belles de toute l’histoire et rappelle ce qu’avait dessiné Fangio sur le Nürburgring en 1957.
Quoi ? Déjà ?
En 1978, Porsche ne se réserve que pour les 24 Heures du Mans, encore une fois. Mais ce qui devait arriver arriva. Alpine-Renault, aidé par ses incroyables équipages, parvient à ramener le trophée en France, quatre ans après Matra. Pourtant, une 936/77 et deux 936/78 – un nouveau châssis accompagne la nouvelle évolution, caractérisée par deux turbos pour une puissance portée à 640 chevaux, un nouveau moteur à deux arbres à câmes en tête avec culasses refroidies par eau – étaient présentes. Les "nouvelles" sont confiées à Jacky Ickx, Henri Pescarolo, Jochen Mass (#5) et Bob Wollek, Jürgen Barth, Jacky Ickx (#6). La 936/77 #7 est pilotée par Hurley Haywood, Peter Gregg et Reinhold Joest.
Cependant, rien n’y fait. Ickx avait certes réussi à faire la pole position en 3:27.600, mais c’était sans compter sur l’expérience de Jean-Pierre Jaussaud et de Didier Pironi, beaux vainqueurs de la course. Deux 936 terminent sur le podium, ce qui est, tout de même, un beau lot de consolation en dépit de plusieurs pépins mécaniques comme le changement de pignon de la 5e vitesse de la #6. La #5, quant à elle, doit abandonner suite à une sortie de piste de Jochen Mass.
En 1979, Renault s’est retiré afin de se concentrer sur la Formule 1. Porsche, aussi, a quitté, mais Zuffenhausen décide de venir avec le soutien du pétrolier Essex qui appose ses couleurs sur les châssis n°001 (Bob Wollek et Hurley Haywood #14) et 003 (#12 de Jacky Ickx et Brian Redman). Les deux Porsche 936, inscrites à la dernière minute, sont tout simplement les voitures de 1978 sur lesquelles on a refait la peinture !
Pour le moment, Porsche reste sur une dixième place discrète aux 6 Heures de Silverstone. La course du Mans semblait à portée, mais une assistance extérieure vient disqualifier la 936/78 #12 du duo Ickx/Redman. Quelques heures plus tard, l’autre tombe également, à la suite d’une casse moteur. Rideau. C'est la désilusion chez Porsche, mais la déception est quelque peu balancée avec la victoire de la Porsche 935 K3 #41 de Kremer Racing sous la pluie ! (photo ACO)
Porsche arrête de s’occuper de ces 936. Par le biais de Joest Racing, un châssis est engagé sous le nom de 908/80 aux 24 Heures 1980. Cette auto à moteur 2.1 litres (deux soupapes par cylindre, simple arbre à came en tête) est du type 936/77 à refroidissement par air. Elle pèse 778 kilos pour 550 chevaux. Malheureusement cette auto (#9) va connaitre un souci de boîte de vitesses comme en 1978 !Une belle deuxième place parachève néanmoins l’expérience grâce à Jacky Ickx et Reinhold Joest qui terminent à 2 tours de la Rondeau M379B #16.
En 1981, on dépoussière les 936 pour un retour officiel de derrière minute. La carrosserie est revue, on intègre une boîte à quatre rapports, le moteur est développé pour les États-Unis (2,6 litres pour 620 chevaux). Elle développe maintenant 630 chevaux pour 860 kilos. Deux autos sont engagées : la #11 (936/81 #003) pour Jacky Ickx et Derek Bell et la #12 (936/81 #001) de Jochen Mass, Vern Schuppan, Hurley Haywood. La Porsche 908/80, 2e l'édition précédente, est aussi alignée par Joest Racing pour Reinhold Joest, Klaus Niedzwiedz et Dale Whittington (#14).
Cette dernière ne voit pas l'arrivée suite à un accident. Par contre, les deux autos usine passe la ligne, la #12 est...12e et la #11 s’impose avec une aisance déconcertante, comptant 14 tours d’avance sur une Rondeau M379 (#8) elle-même esseulée. Jacky Ickx l'emporte encore, cette fois avec son collègue Derek Bell. Ils établissent un nouveau record à la distance à plus de 200 kilomètres / heure de moyenne. Cela permet à Porsche de fêter dignement le cinquantenaire de la marque, trente ans tout juste après avec débuté dans la Sarthe.
Puis, ce fut la fin. Tout du moins, la fin officielle. Joest Racing et Kremer continuèrent de faire perdurer son héritage dans les championnats allemands jusqu’en 1984 – avec succès - tandis que Porsche se concentra sur la 956, sa nouvelle arme du Group C.
La dernière apparition de la bête ? Une sixième place aux 24 Heures du Mans 1986, où un châssis ayant appartenu à Joest (déjà vu au Mans spus les couleurs Belga), engagé par Ernst Schuster, apparaît sous le nom de ‘936 C’ (châssis #JR005). Elle était pilotée par Siegfried Brunn, Ernst Schuster et Rudi Seher.
Trois victoires aux 24 Heures du Mans, seulement quatre châssis "officiels" construits en 10 ans, des dizaines de trophées plus tard, nous pouvons l’admettre : ce n’est pas si mal pour une voiture conçue à partir d’anciens modèles …
Merci à Luc Joly pour les photos...
Commentaires
Connectez-vous pour commenter l'article