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Henri Pescarolo : "A l'époque, l'automobile n'avait rien d'un gros mot"

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16 avr. 2020 • 20:25
par
Laurent Mercier

Il y a tout juste neuf ans, Henri Pescarolo troquait sa combinaison de patron d'écurie pour des habits de conférencier. Dans le cadre du cinquantenaire du Musée des 24 Heures -ex Musée de l'Automobile- et à l'invitation du Conseil Général et du Musée des 24 Heures qui avaient mis sur pied un cycle de conférences sur l'histoire des 24 Heures du Mans, le quadruple vainqueur du Mans était chargé d'évoquer les années 70.

La soirée était animée par le speaker des 24 Heures, Bruno Vandestick. Francis Piquera, le Directeur du Musée des 24 Heures, le cicerone de la conférence, a apporté également quelques précisions historiques au cours de plusieurs interventions.

Avec son franc-parler coutumier, Henri Pescarolo a détaillé ces dix années au cours desquelles il a triomphé au Mans trois fois consécutivement au volant de prototypes Matra, avec quelques anecdotes éclairant son propos. C'était donc bien évidemment l'occasion de parler de l'aventure Matra, Henri est tout d'abord revenu sur la décennie précédente sans laquelle la compréhension des années 70 serait illusoire.

Il a tout d'abord rappelé qu'il n'était pas destiné à faire de la course automobile. Avant de faire de la compétition, il était étudiant en médecine. Sa première voiture n'avait d'ailleurs rien d'un bolide puisqu'il s'agissait d'une 4CV.

Interrogé sur les rapports entre l'automobile des années 70 et la période actuelle, Henri Pescarolo a noté qu'à l'époque "le mot automobile n'avait rien d'un gros mot", contrairement à ce qui se passe actuellement, l'automobile étant accusée de tous les maux. Il a rappelé à cet effet que c'est le Président Georges Pompidou qui avait donné les moyens à Jean-Luc Lagardère de pouvoir réaliser les ambitions de Matra en lui accordant un prêt remboursable.

L'épopée Matra a commencé en 1965 quand Jean-Luc Lagardère, après avoir racheté les Automobiles René Bonnet et créé Matra Sport, a annoncé devant un auditoire de journalistes ébahis et incrédules que Matra gagnerait les 24 Heures du Mans et serait Champion du Monde de Formule 1. La dernière victoire française au Mans remontait à 1950, avec le succès de la Talbot Lago de Louis et Jean-Louis Rosier...

C'est aussi le début de l'aventure Matra pour Henri. Il a mis le pied à l'étrier dans la compétition grâce à l'opération Ford Jeunesse initiée par Gérard Crombac qui allait fonder Sport Auto, Henri Chemin, Président de Ford France, et Europe 1. Il avait été sélectionné pour courir avec une Lotus Seven (qu'il fallait monter soi-même) parmi une foule de candidats et avait fait une brillante saison. Pour monter l'opération Matra, Jean-Luc Lagardère décida de faire appel à des pilotes d'expérience tels que Jean-Pierre Beltoise ou Jean-Pierre Jaussaud, ainsi qu'à des espoirs français. Le nom de Pescarolo fut proposé et Henri fut engagé comme "pilote à l'essai", accomplissant une somme de tâches diverses au sein de l'équipe, avant d’être confirmé l'année suivante.

En 1966, le programme Matra comprenait d'emblée une partie monoplace et un chapitre endurance. Jean-Luc Lagardère avait inclus dans le cahier des charges du Mans que le proto devait avoir un air de famille avec la Matra 530 routière, ce qui explique le look de la Matra MS620-BRM que Pescarolo pilotait en 1966 avec Jean-Pierre Jaussaud. Le moteur BRM n'étant pas un moteur d'endurance, cette première expérience tourna court, mais 1966 et 1967 furent considérées comme des années d'apprentissage.

Les choses devinrent sérieuses en 1968 (course reportée en septembre en raison des événements du mois de mai) avec pour la première fois le moteur V12 dans la Matra MS630, la seule Matra engagée pour cette édition. C'est la fameuse année où Henri Pescarolo a couru une bonne partie de la nuit sous la pluie et sans essuie-glaces, la hissant en deuxième position! La Matra de Pescarolo/Servoz-Gavin dut renoncer le dimanche après-midi après deux crevaisons.

Henri est ensuite passé pudiquement sur l'édition 1969 à laquelle il n'a pas participé à la suite de la fantastique cabriole du mois d'avril sur les Hunaudières avec la Matra 640 et des graves brûlures qu'il subit ce jour-là et dont il porte toujours les traces...

En 1970, les espoirs de victoire pour Matra s'éloignaient cependant avec un changement de réglementation avec deux catégories en protos : les Sport-Prototypes, avec une cylindrée maxi de 3 litres, et les Sport, qui devaient être construits à un minimum de 50 exemplaires, avec une cylindrée de 5 litres maxi, pour aboutir à une certaine équivalence. Mais, comme l'a dit Henri, "les équivalences ne sont pas forcément équivalentes !" Porsche et Matra ont détourné l'esprit de la réglementation en construisant 50 vrais prototypes, des voitures dominant largement les sport-protos. 1970 fut donc l'année de la première victoire d'une Porsche 917.

En 1971, Pescarolo dispute Le Mans sur....Ferrari ! Une Ferrari de la Scuderia Filipinetti. Alors qu'il pensait prolonger son contrat avec Matra en F1, Jean-Luc Lagardère engage Chris Amon aux côtés de Jean-Pierre Beltoise. Pescarolo quitte donc Matra et court donc sur cette Ferrari 512 F avec Mike Parkes. Abandon et deuxième victoire pour la Porsche 917...

En 1972, le règlement change de nouveau et la cylindrée des protos est limitée à 3 litres. Jabby Crombac persuade Henri, après avoir longuement insisté, de renouer avec Matra malgré son ressentiment. On annonce à Henri qu'il fera équipe avec Graham Hill sur la Matra 670. "Graham Hill, pas question...C'est un vieux, il a gagné Indianapolis, le Championnat du Monde de F1, il ne sera pas motivé, il va dormir la nuit pendant que je ferai le travail..." Henri se laisse finalement convaincre et ce sera la première victoire Matra au Mans avec comme le dit Pescarolo "une course fabuleuse de Graham Hill, notamment la nuit sous la pluie, un personnage fabuleux, un pilote d'exception et un boute-en-train."

En 1973, Matra participe au Championnat du Monde des Sports-Prototypes et au Mans. Toute l'année, c'est une bagarre fantastique entre Matra et Ferrari, ponctuée par une victoire de la marque française au Championnat du Monde et au Mans où la Matra 670B de Pescarolo/Larrousse est à la lutte avec la Ferrari 312P de Ickx/Redman avant que celle-ci ne renonce sur ennuis de moteur en fin de parcours.

En 1974, "c'est la victoire la plus facile. Ferrari était parti et les autres concurrents étaient moins forts. Ce fut une bataille interne car, chez Matra, il y avait des ego très forts. On avait des tableaux de marche à respecter, mais comme il a plu, ceux-ci étaient impossibles à contrôler. Avec Gérard, nous sommes sortis vainqueurs, mais le grand mérite revient à un mécanicien qui a réussi à réparer la boîte de vitesses en un temps record."

"En 1975, après avoir tout gagné en endurance, on pensait que Matra allait mettre le paquet en Formule 1 et nous étions tous prêts, mais ce fut la douche froide quand Jean-Luc Lagardère décida d'arrêter le programme Matra afin de consacrer l'argent à la diversification et au développement du Groupe Lagardère."

Henri Pescarolo et Jean-Pierre Beltoise ne sont pas recrutés par Ligier qui a repris les blocs Matra, mais Pescarolo se retrouve cependant au Mans au volant d'une Ligier, une JS3 Cosworth, en compagnie de François Migault. Les deux pilotes sont contraints à l'abandon alors que la voiture sœur, celle de Lafosse/Chasseuil, prend la deuxième place derrière la Gulf-Ford de Ickx/Bell.

En 1976, alors qu'on lui propose un volant chez Porsche, Pescarolo se laisse convaincre par Vic Elford et Charles James, le PDG d'Inaltera, d'intégrer ce nouveau programme sportif. Porsche va gagner, mais l'Inaltera de Pescarolo/Beltoise va terminer huitième et remporter le groupe GTP.

En 1977, Pescarolo fait équipe avec Jacky Ickx sur une Porsche 936 officielle aux couleurs du Martini Racing. Les deux hommes ont déjà remporté trois fois chacun les 24 Heures du Mans et forment l'équipage à battre. Pescarolo abandonne très tôt en raison de la toute première casse d'une bielle sur un moteur Porsche ! Jacky Ickx passe en renfort sur la 936 #4 de Jürgen Barth et Hurley Haywood, et remporte la course!

En 1978, Pescarolo fait équipe, toujours chez Porsche, avec Jochen Mass, mais celui-ci sort de la piste au raccordement. C'est l'année de la victoire de l'Alpine-Renault A442B de Pironi/Jaussaud.

En 1979, Pescarolo se retrouve au volant d'une Rondeau Cosworth M379 Groupe 6, la réglementation ayant évolué. Il termine 10e avec Jean-Pierre Beltoise, l'année de la victoire de la Porsche 935 de Klaus Ludwig et des frères Whittington. A propos de Porsche, Henri Pescarolo rappelait qu'en 1982, Jean Rondeau a été indûment privé du titre de Champion du Monde des Constructeurs, Porsche ayant réussi à faire prendre en compte les points marqués par une...Porsche 911 au Nürburgring!

Jean Rondeau prendra sa revanche en 1980 avec sa victoire sur la Rondeau M379B #16 associé à Jean-Pierre Jaussaud après une belle lutte avec la Porsche de Ickx/Joest. Pescarolo faisait équipe avec Jean Ragnotti qui est petit alors que Pescarolo, comme chacun sait, est plutôt grand. A la question qu'on lui posait à l'époque sur la difficulté, au moment des changements de pilote, d'avoir deux pilotes de taille aussi différente, Henri répondait : "C'est simple. Je reste dans la voiture et Jeannot s'assied sur mes genoux!!"

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