Lucien Beckers, frère d'une pilote féminine dans les années 70
Voir des équipages féminins aux 24 Heures du Mans ne date pas d'hier. On en verra deux cette année en terre sarthoise, un en LMP2, un en GTE-Am. Dans les années 70, les filles étaient déjà présentes au Mans. En 1974 sur une Chevron B23, puis en 1977 sur une Inaltera, Christine Beckers était au départ, à chaque au sein d'un équipage 100% féminin.
"La course ou la vie" est le titre du livre qui retrace la carrière de la pilote belge née en 1943. Plutôt que d'appeler Christine pour discuter des 24 Heures du Mans, Endurance-Classic a échangé avec son frère Lucien, également pilote. L'objectif de l'échange ? Comment était perçu dans la famille d'avoir deux enfants pilotes ?

Une fille pilote dans les années 70, c'était bien vu dans la famille ?
"Dans la famille, il y avait deux positions. Notre père était contre la course alors que c'est lui qui nous a donné le goût en nous emmenant au GP de Belgique de F1 en 1958. Un comble (rires) ! C'est là que nous avons découvert l'odeur d'huile de ricin. Ma soeur a dit : je veux être pilote. Pour notre mère, ce qui comptait, c'était que ses enfants soient heureux. A cette époque, il y avait encore beaucoup de morts. Christine a débuté en bas de l'échelle sur une NSU."
Une féminine pilote était encore assez rare...
"Le sport auto était encore assez macho. Il y avait bien eu quelques filles en compétition. Ma soeur était engagée par Autodelta sur une Alfa Romeo où il y avait beaucoup de pilotes italiens. Elle devait disputer une manche du Championnat d'Europe de Tourisme sur le Nürburgring. Le responsable d'Alfa Romeo en Belgique savait qu'elle ne connaissait pas le circuit, donc elle a roulé toute la semaine avant le meeting. Sur la course, elle mettait 15 secondes à son coéquipier. Cette course a changé son image. La volonté de voir des filles en course était là, mais fallait-il encore aller vite. On a maintenant le championnat W Series réservé aux filles qui, selon moi, dévalorise les femmes car elles ne roulent qu'entre elles."

Vous accompagniez votre soeur sur les circuits ?
"J'étais très souvent à ses côtés à ses débuts. Je roulais de mon côté, ce qui ne rassurait pas notre mère. J'ai débuté comme copilote en rallye en 1966. J'ai d'ailleurs fait quelques courses avec Christine et même l'un contre l'autre."
Les 24 Heures de Spa 1973 ont été une dure épreuve pour votre famille...
"Je débutais sur cette course au volant d'une Alfa Romeo 2000 GTV (sous le pseudo 'James', ndlr) et ma soeur pilotait une Opel Commodore GS/E. Roger Dubos, mon meilleur ami et petit ami de ma soeur, s'est tué quasiment sous mes yeux. C'était très dur pour toute la famille. En 1974, ma soeur ne prend pas part à la course, contrairement à moi où je gagne la Coupe du Roi. C'était une belle revanche sur 1973."

Après une première participation en 1973, Christine revient au Mans l'année suivante. Les ambitions sont revues à la hausse ?
"Elle avait acheté une Chevron B23 qui appartenait à Frank Williams. Elle avait mis tout son argent dans cette voiture. La première course était les 4 Heures du Mans. Le programme comprenait les 24 Heures du Mans, les 1000 km de Spa et du Nürburgring. Cette année-là, elle remporte la catégorie 2.0 litres au Mans. La voiture était très fragile, notamment la boîte de vitesses. Je panneautais la Chevron à Mulsanne en lui passant aussi de petits messages."

1974, c'est l'année de l'équipage féminin avec Yvette Fontaine et Marie Laurent. A cette époque, trois filles dans la même voiture au Mans était sujet à des moqueries ?
"Les trois filles étaient jolies et elles ont fait une belle performance. Je n'ai pas le souvenir qu'il y ait eu des railleries sur l'équipage. Il y a tout de même eu un souci de partenaire car Yvette était soutenue par BP, Christine par Esso. Je crois même que Yvette et Christine sont toujours brouillées depuis cette affaire où Yvette n'avait pas voulu porter les vêtements au nom du partenaire trouvé par Christine."

L'aventure Inaltera est restée dans les mémoires...
"Ma soeur vivait avec Vic Elford qui s'était rapproché de Jean Rondeau. Vic a demandé à Jean que ce serait bien que Christine puisse avoir un volant. Henri (Pescarolo) a mis son veto en disant : "si vous mettez une fille dans l'équipage, je ne viens pas." Finalement, Christine faisait les mêmes chronos que les autres et Henri a changé d'avis. Il y a peu de temps, Henri et Christine étaient ensemble sur un meeting historique à Nogaro. Henri lui a dit : "jamais je n'aurais dû dire une connerie pareille." Henri pilotait une Matra qui était reconstruite et il a poussé le propriétaire pour que Christine roule sur cette auto. Maintenant, elle roule dès qu'elle le peut. Il aura fallu attendre le XXI siècle pour que Christine soit pilote Matra (rires)."

En 1977, bis repetita au Mans avec Lella Lombardi...
"C'était un équipage à deux avec une 11e place finale. Personne n'a fait mieux que 1977 avec un équipage féminin. Cela me fait plaisir de voir qu'en 2021 des filles roulent bien. Je reste persuadé qu'une fille peut aller aussi vite qu'un homme."
Vous avez suivi de près toute cette époque ?
"J'ai le souvenir d'une séance d'essais au Paul Ricard en 1976 pour préparer Le Mans. Nous avions une maison dans le sud de la France et j'étais venu suivre les essais. C'est là que j'ai rencontré Jean-Pierre Jaussaud. J'ai une photo avec Vic, Jean-Pierre et ma femme. Vu que c'est moi qui prends la photo, je ne suis pas dessus, ce qui m'emmerde profondément. En 1965, je vais à Zolder avec ma soeur. Paul Frère y était instructeur. On croise une fille avec qui on discute. Il s'est avéré que c'était la fille de Paul. On lui demande si on peut faire un tour avec son père, ce qui a pu se faire sans problème. Pour nous, c'était un peu comme si on montait à côté de Dieu. J'ai une photo avec Martine, la fille de Paul, Christine et Paul. Une fois de plus, c'est moi qui prenais la photo, donc je ne suis pas dessus. Bon, par la suite, Martine est devenue ma petite amie (rires)."

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