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Fred Mako : "Au Nürburgring, tu peux avoir un tour d'avance et t'écraser contre un concurrent"

24H Nürburgring
3 juin. 2021 • 12:00
par
lmercier
Qu’est ce qui peut pousser un pilote à disputer les 24 Heures du Nürburgring ? Certainement pas l’appât du gain, mais plutôt le fait de disputer une course pas comme les autres. Le tracé, le trafic et la météo changeante sont autant de paramètres qu’un pilote roulant dans l’Enfer Vert doit gérer. Malgré la difficulté, tous les pilotes se pressent pour rouler sur la Nordschleife. Vainqueur de la classique allemande en 2018, Fred Makowiecki fait une nouvelle fois partie des favoris ce week-end sur une Porsche 911 GT3 R alignée par Frikadelli Racing Team. Le Français partage son volant avec Maxime Martin, Dennis Olsen et Patrick Pilet. Avant de partir pour l'Allemage, le pilote officiel Porsche s’est confié à Endurance-Info en dégustant des fraises. La fraise, réputée pour être le fruit santé par excellence, sera à coup sûr un atout sur une course qui demande de l’excellence au volant.
Mako Manthey

On dit souvent que pour gagner une course, il faut de la chance. Au Nürburgring, il en faut encore plus qu’ailleurs ?

 

« Cette course est la plus dure. Sur la majorité des courses, ce n’est pas vraiment une question de chance. Là, il faut de la chance et cette chance est démultipliée. Toutes les courses d’endurance s’apparentent à un sprint. Au Nürburgring, c’est un sprint où il faut encore gérer, être dans le bon paquet et passer la nuit. Après, il faut y aller. Tu peux avoir un tour d’avance et t’écraser contre un concurrent. Au Mans, tu peux gérer quand tu as de l’avance. C’est ce qu’on a vu en 2018 avec la victoire de Porsche en GTE-Pro. Un an plus tard, Romain (Dumas) se fait surprendre sur de l’huile au Nürburgring alors qu’il a plus de 3 minutes d’avance. N’importe quel pilote au volant se serait fait avoir de la même façon. »

 

La météo est votre ennemi ?

 

« C’est un facteur essentiel de la course. Il peut y avoir un tas de micro climat à différents endroits du circuit. Il y a la toute petite pluie fine que personne n’a remarqué, mais qui peut faire que tu peux terminer ta course dans le rail en une fraction de seconde. Mentalement, cette course est difficile. Elle demande de la concentration à chaque instant. Ton rythme cardiaque est supérieur à toutes les autres. Durant toute l'épreuve, il est identique à l’arrivée d’une autre course. Ce n’est pas pour rien que des pilotes professionnels ne veulent pas effectuer de doubles relais. Au Nürburgring, le tour clair n’existe pas. Lors de mes premières participations, il y avait plus de 200 autos au départ, contre 125 cette année. »

 

Un rythme cardiaque supérieur à toutes les courses 

 

Mako Frikadelli

 

Le trafic joue aussi un rôle important ?

 

« Tu arrives vite à repérer quelles autos sont délicates à dépasser. Tu sais qu’il faut se méfier de telle ou telle auto. Cette course est plus difficile dans une petite voiture car les pilotes doivent toujours regarder derrière eux. Nos GT3 ont du mal en ligne droite pour les dépassements. Quand tu as de l’aéro et du grip, tu ne peux plus dépasser. Une Porsche Cup a une vitesse max supérieure à la nôtre et une GT4 va à la même vitesse. C’est là où les règles devraient évoluer. Il faudrait faire qu’on puisse dépasser. Les autos actuelles sont trop dépendantes de l’aéro. Une GTE actuelle a autant de charge aéro qu’un prototype des années 2000. »

 

Quand tu pars faire ton relais, tu pars au combat

 

Cette course semble faire vibrer quasiment tous les pilotes. Comment l’expliquez-vous ?

 

« Selon moi, il y a trois circuits différents des autres : Nürburgring, Macau, Bathurst. En Endurance, c’est l’une des dernières courses où on est encore des gladiateurs. Quand tu pars faire ton relais, tu pars au combat. C’est la même chose pour Indy 500. Les gens ont du respect pour ce que tu fais. On compte une quinzaine d’équipages pour la gagne. Richard Lietz dit que le meilleur moment est quand tu repars du circuit sans t'être fait mal. Avec Richie, nous avions dit que si on gagnait, on ne reviendrait plus. Bon, ok, j’avoue que le deal n’a pas été respecté. »

 

Mako Nürburgring

 

Cette course vous a toujours fait vibrer ?

 

« Quand j’ai signé chez Porsche, les 24 Heures du Nürburgring n’étaient pas à mon programme. Je suis allé voir Olaf Manthey pour lui faire savoir que rouler sur la Nordschleife me tenterait. Dix jours plus tard, j’étais dans l’auto avec Otto Klohs. Quand tu aimes piloter, tu ne peux qu’aimer cette course. En circuit, il n’y a rien de plus beau, rien qui ne respire autant le sport auto. Un tour représente quatre à cinq tours d’un autre circuit. Lorsque j’ai débuté en 2015, il y avait encore l’ancien revêtement avec des bosses. Tu ne savais pas trop où il fallait passer et quelques centimètres de différence pouvaient changer la donne. Maintenant, la piste est plus facile avec plus de grip. »

 

Au Mans, vous roulez à trois. Au Nürburgring, c’est généralement quatre. Ce serait impossible à trois ?

 

« Quatre pilotes permet d’avoir plus de confort, mais on pourrait le faire à trois. Il y a peu de temps de repos dans l’auto, tu ne peux pas te relaxer car le trafic est trop important. Seule la ligne droite à Döttinger Höhe te le permet sur seulement une dizaine de secondes. C’est généralement là que tu échanges avec l’ingénieur. »

 

Manthey Nürburgring

 

Porsche répond présent depuis le début de saison sur la Nordschleife. Il ne vaudrait pas mieux en garder sous la pédale et sortir du bois en course ?

 

« Nous, on ne cache pas notre jeu. La philosophie de Porsche est de mettre ce qu’il se fait de mieux et de tout donner. »

 

En 2018, vous gagnez la course avec Patrick Pilet, Nick Tandy et Richard Lietz alors que vous n’aviez plus rien à espérer dès le premier tour. Avec du recul, c’était mission impossible ?

 

« Je ne regagnerai plus jamais les 24H du Nürburgring comme en 2018. Nous avons tous pris beaucoup de risques. La chance de finir dans le rail était plus élevée que de gagner. Après la crevaison du premier tour, tu passes 90e au classement. Quoi qu’il arrive, on était loin, très loin. Personne ne parlait de nous et la #911 devait l’emporter. On leur collait 1,5s par tour. Personne n’allait plus vite que nous. Le drapeau rouge nous a recollé. En perdant 3:50 mn dès le départ, ta course est compromise. On revient dans le match pour se battre pour la victoire. On prend une pénalité pour un drapeau jaune non respecté et la course est neutralisée. Quand on repart, les conditions étaient plus délicates que quand elle a été interrompue. »

 

Manthey 2018

 

Vous faites partie des pilotes, comme Romain Dumas, à dire qu’une course doit durer 24 heures ?

 

« On est là pour faire de la course. Peut-être qu’il faut rouler à 50 km/h en fonction des conditions, mais il faut rouler. De nos jours, tu ne conçois plus de ralentir. Selon moi, on sort le drapeau rouge trop souvent. Les gens ont perdu du respect pour ce que l’on fait. Au Nürburgring, il y a cette part de risque qu’on ne retrouve plus ailleurs. Tu connais beaucoup qui demandent à monter en passager d’un pilote de MotoGP ? Moi pas… Qui veut rouler en ville à 200 km/h face à des conducteurs qui sont à 50 km/h ? C’est ça le Nürburgring. »

 

Il y a quelques années, il fallait être Allemand pour briller sur la Nordschleife. Les choses ont changé ?

 

« La spécificité du Nürburgring est que des pilotes y ont un niveau de performance plus important. Il est vrai qu’à une époque c’était très allemand, mais les choses ont évolué. Il y a des pilotes professionnels qui y vont pour faire leur travail, d’autres pour prendre du plaisir. »

 

Tout le monde a encore en mémoire votre dépassement sur la Mercedes en 2018. Certains diront qu’il était couillu. C’est aussi votre avis ?

 

« Finalement, ce dépassement ne m’a pas marqué. Je savais que c’était là et pas ailleurs. Cette année-là, nous avions une très bonne auto sur le sec, mais la Mercedes nous était supérieure sous la pluie. Je suis en aquaplaning total, je freine et la voiture « luge ». Je pense que ça ne va pas s’arrêter, mais ça passe. Ce qui est sûr, c’est que ça te change la vie d’avoir une auto qui te permet de rouler à 90% plutôt que d’en avoir une où il faut être à 110%. »

 

 

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