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IMSA – Pipo Derani, le « king » de Sebring, vu par son manager

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16 mar. 2024 • 12:00
par
Thibaut Villemant
En l'espace de huit saisons, le Brésilien de 30 ans s'est bâti un palmarès éloquent outre-Atlantique. Aujourd'hui, il briguera une cinquième victoire aux 12 Heures de Sebring, un circuit dont il est le maître incontesté. Un parcours hors-norme qu'il doit en grande partie à un homme : son manager, Philippe Dumas.
José Mário Dias

Le 17 octobre dernier, alors qu'il vient de coiffer sa deuxième couronne de champion IMSA, Pipo Derani se laisser aller à une publication sur ses réseaux sociaux où on l'aperçoit, tout sourire, au côté de Philippe Dumas. Une photo surmontée d'un texte aussi bref que lourd de sens : « Merci beaucoup Philippe ! Tu es plus qu'un manager, tu es frère pour la vie. Le travail continue... Le regard tourné vers l'avant, toujours vers l'avant. » Dans un milieu où l'argent est roi, un milieu manquant de plus en plus d'humanité, il est rare de voir de tels témoignages d'un pilote envers son agent. Mais Pipo le sait : dans son ascension vers les sommets, il a été guidé par deux hommes : son père Walter, ex-pilote et promoteur décédé en 2018, et son manager français. Une histoire rare, que ce dernier a accepté de nous conter autour d'un café, dans le recoin d'un bistrot du 17e arrondissement de Paris.

 

« En 2014, je suis team principal du Oak Racing, se remémore Philipe Dumas. Alors que nous sommes à São Paulo pour la manche brésilienne du WEC, Pipo est venu me voir. Il connaissait alors un peu Olivier (Pla. Ndlr), qui était notre fer de lance. J'ai découvert un chouette gamin, très mature pour son âge. Et j'ai vu dans ses yeux une extrême motivation doublée d'une grande intelligence. Il m'a plu tout de suite... »

 

A l'époque, malgré une carrière plus qu'honorable en monoplace avec notamment une troisième place au Grand Prix de Macao F3 2013 derrière Alex Lynn et António Félix da Costa, Luis-Felipe Derani cherche à se faire une place en Endurance. « Quelques semaines plus tard, nous (Oak Racing. Ndlr) avions une séance d'essai organisée à Magny-Cours, enchaîne l'ex-team principal du Hexis Racing. Olivier n'était pas disponible et j'ai alors appelé ''le gamin''. Et sans hésiter, il a accepté. »

© IMSA

Quelques jours plus tard, Pipo s'est retrouvé, un beau matin du mois de décembre, dans la froideur de la Nièvre, accompagnée de sa petite amie Marina, devenue sa femme et avec laquelle il a eu une fille : Lorena. « Je le vois encore débarquer, frigorifié, dans sa Twingo de loc' » rigole Philippe. Une température ambiante ne dépassant pas les 3°C, de la pluie, le tout au volant de cette Morgan LMP2 rose et noire dénuée de cockpit, le petit Brésilien reste marqué par cette journée glaciale. Ce n'est pas pour rien qu'il a élu domicile à Miami.

 

Reste que s'il ne le sait pas encore, cette journée va marquer un tournant dans sa carrière. « Malgré les conditions, il a effectué un travail remarquable, nous a confié Philippe Dumas. J'ai tout de suite vu qu'il avait un gros potentiel, avec une approche vachement mature. Il est issu d'une grande famille, mais il avait les pieds sur Terre et surtout de vraies valeurs. Ça se voyait, ce gamin, il savait ce qu'il voulait... »

 

A l'époque, Philippe n'est pas encore réellement manager, même s'il a commencé à aider Olivier Pla, avec qui il également noué des liens très forts. « J'ai alors trouvé à Olivier un volant chez Nissan pour 2015, poursuit-il. Il me fallait monter une deuxième auto au côté de celle de Sam Bird / Julien Canal / Roman Rusinov et j'ai réussi à associer sur celle-ci Pipo à Ricardo Gonzalez et Gustavo Yacaman. Un équipage exotique mais ô combien sympathique et surtout talentueux. Et c'est comme ça que tout a commencé... »

Première course en WEC, 1re pole et 1er podium (2e), à Silverstone, en 2015 - © MPS Agency

Première course et première pole sur la Ligier JS P2, à Silverstone, la fusée Derani est sur orbite. « Pipo est arrivé en tant que pilote payant, mais il n'y avait guère de doute quant au fait que ça allait vite changer, se souvient Philippe. Et il était, de surcroît, doté d'un excellent retour technique, à tel point que Dunlop a en fait son pilote de développement au côté de Daniel Serra. Sa saison n'a pas été parfaite, mais il a su absorber toutes les informations comme une éponge, se rapprochant sans cesse de son compagnon d'écurie, Sam Bird, qui est pour moi l'un des pilotes les fins que j'ai connus, tant sur le plan technique que sur celui du pilotage. Il a beaucoup appris de lui : la gestion des pneus, des temps forts et faibles, la constance... Et il a travaillé physiquement. Les semaines filant, il m'a dit : ''J'aimerais que tu t'occupes de moi !''. Et au final, cela s'est fait aussi naturellement qu'avec Olivier. »

 

C'est ainsi que le natif de São Paulo est devenu le deuxième pilote à confier sa destinée au Tricolore, notamment vu au départ des 24 Heures du Mans 2013 sur une Corvette C6.R de Larbre Compétition partagée avec Cooper MacNeil et Manuel Rodrigues.

 

La suite, Philippe estime qu'il la doit au destin ou à la chance. Mais le destin, voire même la chance, ça se provoque. Et c'est bien à son flair, conjugué au talent du pilote auriverde, que l'on doit les prochaines chapitres de notre incroyable histoire. Inconnu au bataillon fin 2014, Pipo va devenir, en quelques mois, une référence mondiale de la discipline. « En 2016, nous récupérons le programme Extreme Speed Motorsports en IMSA, lâche Philippe, un sourire en coin. Scott Sharp (qui gérait et finançait le programme. Ndlr) m'a demandé un leader. Sans hésiter, je lui ai proposé Pipo, qui a alors signé son premier contrat professionnel, mais uniquement pour les 24 Heures de Daytona. Un choix somme toute logique puisqu'il n'avait aucune connaisse des circuits US. Mais il s'est avéré qu'en plus d'être doué, j'ai découvert que Pipo était un provocateur de chance. »

© José Mário Dias

Le contrat ne porte alors que sur le double tour d'horloge floridien. Reste que grâce au talent de Pipo, le quatuor qu'il forme avec Ryan Dalziel, Johannes van Overbeek et Ed Brown – loin d'être favori sur le papier – rafle la mise ! « Tombé amoureux de Pipo, ESM le signe finalement sur l'intégralité de la saison, se souvient un Philippe Goguenard. Reste qu'à Daytona, nous avions clairement une voiture au dessus du lot. » Ce qui ne fut pas le cas un mois et demi plus tard aux 12 Heures de Sebring. « Et c'est là qu'il se révèle vraiment, avoue Philippe. Il réalise un chef d'oeuvre, peut-être la course de sa vie. »

 

Après une superbe remontée, il prend l'avantage sur Filipe Albuquerque, alors sur une Corvette DP du Action Express Racing, grâce à un dépassement de toute beauté ⬇️. « Cette année là, il a gommé tous les défauts rencontrés en 2015, se montrant particulièrement solide. L'aventure ESM a été fantastique sur le plan humain, mais elle a touché à son terme fin 2018. » Après une nouvelle victoire aux 12 Heures de Sebring. « Reste que Pipo s'était fait un nom outre-Atlantique, et Action Express Racing m'a contacté durant l'été 2018, reprend Philippe. Ils souhaitaient avoir Pipo pour les courses longues. Finalement, Eric Curran ayant décidé de raccrocher, il s'est retrouvé d'emblée titulaire. »

L'idylle avec la formation de Gary Nelson et Bob Johnson dure toujours. « Nous avons tout de suite vu qu'il était immensément talentueux, avoue Philippe après coup. Mais encore une fois, il est aussi doté d'un cerveau extrêmement bien fait. Il a un sens de l'attaque à la Senna, une intelligence de course supérieure à la moyenne, et il a su gommer ses excès d'agressivité en piste qui ont pu lui faire défaut. Et ce qui me plaît le plus en lui, c'est que c'est un énorme travailleur. Alors des fois il me casse les pieds (rires. Ndlr) car il en veut toujours plus. Mais ce mec là, il ne s'arrêtera jamais. Il a énormément progressé, il progressera encore et se fixera toujours des objectifs plus élevés. Et d'un certain côté, moi aussi ça me challenge. On se pousse l'un l'autre mutuellement et je pense que nous formons la combinaison pilote-manager parfaite. »

 

Aujourd'hui, en seulement neuf ans, Pipo a décroché deux titres en IMSA (2021 et 2023), un podium de catégorie aux 24 Heures du Mans (2017), une victoire aux 24 Heures de Daytona (2016) et quatre aux 12 Heures de Sebring (2016, 2018, 2019 et 2023), épreuve sur laquelle il a signé hier sa deuxième pole position de rang.

 

Cela signifie-t-il que tout a été facile ? « Assurément pas, assure Philippe. En IMSA, il a connu de nombreux coups durs. Il a perdu des classiques ou des championnats au tout dernier moment. Mais quoi de plus normal quand tu connais l'intensité de ce championnat. Et quand il s'est retrouvé chez AXR avec Felipe Nasr (de 2019 à 2021. Ndlr), il a encore dû hisser son niveau de jeu. Ça lui a d'ailleurs beaucoup servi car Nasr, c'est quand même du lourd, le gars sortait de la F1. Et puis ils sont tous deux Brésiliens (Rires. Ndlr). Il y a eu une vraie émulation entre les deux. »

© MPS Agency

Au final, les remises en question ont été nombreuses, tout comme les craintes et les doutes. D'autant que, malgré de belles victoires, la couronne de champion s'est refusée à lui jusqu'en 2021. « Mais ce titre qu'il gagne avec Nasr, c'est lui qui va le chercher, se souvient Philippe. Et il a sonné comme une délivrance car, par deux fois, celui-ci lui avait filé entre les doigts. Et ça lui a enlevé un gros poids, ça l'a libéré. Il a encore mûri et il a su endosser ce rôle de leader d'équipe une fois Nasr parti chez Penske. Il a su prendre ses responsabilités, ce qui ne m'a guère étonné, car c'est un leader né. J'en veux pour preuve son sacre l'an passé. Durant toute la saison, il a été magistral. Il n'a pas commis une erreur. »

 

Si Philippe ne le dira pas par humilité, son protégé sud-américain est sans nul doute le grand artisan de ce sacre. Et ce à l'issue de la saison la plus relevée depuis la renaissance du championnat en 2014, et – qui plus est - au sein de la plus petite équipe de la catégorie. Celle ayant en tous les cas le moins de ressources et la seule qui n'est pas présente parallèlement en IndyCar. « Il a porté cette équipe » lâche finalement son manager. Pourtant, avec son pilotage très typé proto, l'adaptation était loin d'être gagnée. « Il a eu des doutes, mais il a encore prouvé être un mec spécial » rigole notre interlocuteur avant d'avaler une gorgée de café.

© Courtesy of IMSA

Philippe ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire de fierté en jetant un regard sur tout le parcours qu'il a accompli avec son protégé brésilien. « Je repense encore à ma première entrevue avec lui au Brésil, lâche-t-il. C'était un gamin. Et maintenant il est père de famille, il vient de fêter ses 30 ans, et il arrive encore à être plus fort car il prend de la hauteur par rapport à tout ça. » Le meilleur exemple est assurément le final de l'édition 2024 des 24 Heures de Daytona. Alors que la victoire lui tendait les bras, les circonstances de course ont finalement permis à la Porsche n°7 de décrocher les lauriers. « Ce n'est pas grave, nous avait-il lâché. C'est frustrant mais pas grave. Là je vais rentrer chez moi, retrouver ma femme, ma fille et je reviendrai plus fort encore à Sebring. »

 

Une force de caractère, un détachement, qui devrait encore l'aide à gravir des montages. Avec, en point de mire, le titre de champion du monde d'Endurance et bien évidemment la victoire aux 24 Heures du Mans, une course à laquelle il va prendre part pour la neuvième fois en juin prochain, la quatrième dans la catégorie reine.

 

Et une fois encore, il pourra compter sur le soutien de Philippe, qui aime à parler de ses pilotes comme d'une famille. Il a tissé, avec chacun d'entre eux, une relation dépassant largement le cadre du professionnel. « L'humain, pour moi, c'est le plus important » avoue-t-il. Il a d'ailleurs repoussé les demandes de bon nombre de pilotes, et certains très talentueux. Soit parce que le courant ne passait pas, soit tout simplement parce qu'il ne souhaitait pas que cela porte préjudice à ceux qu'il chapeaute déjà.

© José Mário Dias

S'il aime à dire qu'il est là « pour les protéger », il sait aussi être dur, dans leur propre intérêt. « Finalement, patron d'équipe ou manager, le métier est un peu le même, souligne-t-il. Tu dois gérer des hommes, des egos. Mais je peux vous assurer que je prends autant mon pied que lorsque j'étais à la tête du Oak Racing ou du Hexis Racing. » Equipe avec laquelle il a notamment remporté le championnat du monde FIA GT1 en 2011. Un sacre assurément dû davantage à la cohésion de son groupe qu'à la vitesse pure de ses Aston Martin DBR9 sur la piste. « Moi, finalement, j'ai juste envie de vivre de belles histoires, conclut-il. Ça fait peut-être beau parleur, mais ça me procure plus de joie qu'une victoire. »

 

Et c'est empreint d'émotion qu'il les raconte. L'humain, encore l'humain, toujours l'humain... Philippe est un homme de parole, qui jamais lâchera les gens qu'il a décidé de prendre sous son aile. Il se démènera coûte que coûte pour trouver à ses pilotes le meilleur programme possible. Pipo, mais aussi Olivier Pla, Mikkel Jensen, Lilou Wadoux, Côme Ledogar ou encore Tom Dillmann.

 

Un homme d'une honnêteté rare qui, lors d'un barbecue organisé par Pipo Derani en marge d'une épreuve de l'IMSA, avait glissé à sa pépite en rigolant : « Au final aujourd'hui, au vu de ce que tu as accompli, tu n'as presque plus besoin de moi... » Et Pipo de lui répondre : « Philippe, je sais ce que je te dois. Si tu veux, on signe là maintenant tout de suite, un contrat ad vitam æternam. Et moi je ne rigole pas ! » Un tandem qui a, aujourd'hui, l'occasion de marquer encore un peu plus l'histoire de l'Endurance américaine...

© José Mário Dias

Commentaires (3)

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Sam Piroton

16 mar. 2024 • 12:25

Au final, c'est ça qu'on veut et qu'on aime. Well done ! Heureusement que ça existe et que l'humain fait encore la différence.

franck

16 mar. 2024 • 14:14

Merci pour cet article !

WD

16 mar. 2024 • 17:06

C’est beau ce type d’histoire 👍