24H du Mans - Une victoire LMP2 qui fait causer le paddock

Dimanche 11 juin, 16h40. Alors que le podium LMP2 bat son plein avec un Bruno Vandestick qui s’égosille Inter Europooooooooool, les visages dans les stands sont marqués par la fatigue d’une course du centenaire qui a rendu son verdict. Au détour d’une discussion dans le paddock, un pilote un brin désabusé nous lâche : « nous ne pouvions rien faire de plus car nous roulions en Pro-Am ». Et pourtant ce dernier ne roulait pas en LMP2 Pro-Am. Quelques minutes plus tard, c’est dans la voie des stands que l'un des ses homologues nous interpelle : « C’est bien une catégorie monotype où tout le monde dispose du même matériel ? ». Quelle mouche avait donc bien pu piquer le paddock dans la seule catégorie où il n'y a pas de BoP ?

Il a suffi que des pièces soient prélevées à l’issue de la course sur l’Oreca 07 n°34 Inter Europol Competition victorieuse en LMP2 pour jeter le discrédit sur la victoire de l’écurie polonaise. Mais pourquoi Inter Europol Competition ne pourrait-elle pas battre les gros bras emmenés par WRT, Prema, Jota ou United Autosports ?

Après chaque manche WEC, des pièces sont prélevées sur les marques roulant en Hypercar afin de contrôler la conformité des autos. C’est pourquoi le classement des 6 Heures de Spa-Francorchamps n’a été entériné qu’une dizaine de jours après l’épreuve. Quinze jours après les 24 Heures du Mans, toujours pas de classement définitif car cette fois, en plus des pièces prélevées sur les Cadillac #2, Porsche #5, Toyota #8 et Ferrari #51, les officiels ont rajouté l’Oreca 07 #34 de Fabio Scherer / Albert Costa / Jakub Smiechowski.

Il n’est pas question de dire que l’écurie polonaise n’est pas conforme. Quand David gagne contre Goliath, cela fait causer dans le Landernau de l’Endurance. Depuis près de 15 jours, toujours pas de classement définitif et depuis près de 15 jours, les appels des équipes et des pilotes sont quotidiens, toujours avec la même question : « Des nouvelles du classement ? »

En l’état actuel des choses, il n’est pas question de remettre en question le succès d’une équipe mais bien de chercher à comprendre pourquoi le paddock se pose des questions. Inter Europol Competition est l’équipe qui a mené le plus de tours consécutifs toutes catégories confondues selon les informations diffusées par Infos Course, soit 111 à partir de 8h39 le dimanche matin. A aucun moment un pilote de la #34 n’a eu le meilleur tour en course, que se sont disputés Paul-Loup Chatin (IDEC), Ferdinand Habsburg (WRT) et Robin Frijns (WRT).

« Nous avons fait une course parfaite », a déclaré à Endurance-Info Louis Delétraz, deuxième en LMP2 sur l’Oreca 07 n°41 du Team WRT qu’il partageait avec Robert Kubica et Rui Andrade. Il a manqué 21 secondes au trio pour coiffer la victoire. Tout le monde a bien remarqué que cette #34 était rapide à l’accélération comme le montrent les graphes à la sortie des deux chicanes ⬆️⬇️ et Mulsanne ⬇️. Le team polonais a utilisé une boîte équipée de rapports courts, ce qui pourrait donc expliquer cette accélération plus rapide. Prema avait pourtant opté pour le même étagement de boîte, mais sans pour autant obtenir les mêmes courbes à l'accélération.

Louis Delétraz, qui connaît parfaitement la catégorie LMP2, s’interroge sur la performance de la #34 : « A Sebring, ils parvenaient à boucler plus de tours que la concurrence sans pour autant sauver du carburant, nous a-t-il expliqué. A Portimao, c’était un tour de plus et à Spa, ils étaient plus rapides de plus d’une seconde au tour. Le refuelling au Mans était lui aussi plus rapide. Je n’explique pas ces écarts. »

Les autres équipes doivent-elles retourner à leurs cahiers ? L’électronique de la #34 a-t-elle connu un bug ? Les officiels buchent avant de rendre leur copie. Si on prend cinq pilotes LMP2 classés Silver par la FIA qui roulent dans les mêmes équipes en 2022 et en 2023, quatre des cinq ont perdu entre 4.2s et 7.3s au Mans, ce qui s'explique fort logiquement par la diminution de la puissance des autos du LMP2. Seul le Silver de la #34 - Jakub Smiechowski - a concédé moins que les autres (et pas qu'un peu), puisqu'il n'a perdu que 1.4s entre 2022 et 2023.

« C'est un jour très spécial pour tout le monde, a déclaré Wojciech Śmiechowski, fondateur de l’équipe polonaise, après l’arrivée. Surtout pour ceux qui sont ici depuis le début et qui ne s'attendaient peut-être pas à être ici au Mans un jour. Et même s'ils l'avaient fait, ils ne se seraient pas attendus à gagner cette course un jour ! Nous y sommes parvenus ensemble après de nombreuses années, et il s'agit toujours d'un travail collectif, pas d'une ou trois personnes. Toute l'équipe est composée de personnes responsables dans de nombreux domaines. »

Gagner pour la première fois en WEC (LMP2) et directement aux 24 Heures du Mans n'est pas un exploit inédit. WRT l'avait fait en 2021. A la différence près que le classement avait été entériné dès le lundi suivant l'arrivée...