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"Mes 24H du Mans 1982" par Laurent Mercier...

Endurance Info
4 juin. 2022 • 14:30
par
lmercier
Le Mans est une course qu'on attend chaque année, et ce peu importe son âge. Qu'on soit gamin, actif ou retraité, qu'on soit sur place ou devant son petit écran, les 24H du Mans restent à part. En quatre décennies, on peut oublier des choses mais il y a une chose qu'on n'oublie pas : son enfance au Mans. Les souvenirs remontent vite à la surface. Je vais vous raconter mes 24H du Mans 1982...

Les 24 Heures du Mans 1982 resteront dans l’histoire comme l’édition des débuts du Groupe C. Quand on est gamin, on ne sait pas vraiment ce qu'est le GrC et sa réglementation. Ce que l’on veut, c’est rêver et repartir du Mans avec l’envie d’y revenir en juin de l’année suivante. C’est exactement ce qui m’est arrivé en juin 1980 lors ma première visite aux 24 Heures du Mans. Les 24 Heures du Mans, une course qui devrait avoir ses deux jours fériés et chômés. Pour ma part, 1982 était une édition importante…

 

En quittant Le Mans le dimanche 15 juin 1980, je n’attendais qu’une seule et unique chose : revenir en 1981. A cette époque, on allait à l’école le samedi matin et qui dit manquer un samedi matin pour aller au Mans dit qu’il fallait avoir les résultats scolaires qui suivaient. C’est là que la machine s’est enrayée. Quand l’instituteur faisait des petits sondages pour savoir ce que l’on voulait faire comme métier, moi c’était pilote aux 24 Heures du Mans. Le reste de la classe (on appelait cela CM1) était ailleurs : médecin, avocat, pompier, acteur, etc… J’étais bien loin de tout cela. Pour en revenir à 1981, mes résultats scolaires étaient passables. En deux mots, on m’avait dit que j’avais des facilités, donc j’attendais que ça vienne. Le souci est que les résultats mettaient du temps à venir. Pour résumer, en 1981, ils ne sont jamais venus…  Donc, pas de 24H du Mans ! Un vrai scandale familial. J’avais beau avoir un papa très enclin à m’emmener, ma mère a dit niet ! Je vous passe les détails d’une course regardée chez mes grands-parents. Même quatre décennies plus tard, ma mère s’en souvient encore car une fois la retransmission télévisée du samedi après-midi terminée, j’ai fait un peu de tuning avant l’heure. Ma mère avait stocké dans le grenier de mes grands-parents (la même pièce qui est devenue en 2022 le bureau d’où j’écris ces lignes) un Solex qui fonctionnait encore très bien mais qui ne servait plus vraiment. Avec un pote, on a démonté le Solex pour en faire un vélo de cross qu’on a repeint en rouge en lui mettant une grande antenne à l’arrière. Je vous laisse imaginer la tête de ma mère qui m’en parle encore (avec le sourire). J’ai bien cru être privé de Mans durant une décennie.

 

Revenons-en en 1982 ! Là, j’ai reçu l’aval du Comité de Sélection familial pour aller aux 24H du Mans avec mon père. Le bon de sortie accordé et donné à l’instituteur était clair : « Laurent sera absent samedi 19 juin pour cause de 24H du Mans. » Mieux qu’une Palme d’Or à Cannes ! Quand on est gamin au début des années 80, on pense qu’aller au Mans par la route est le périple de l’année alors qu’au final ce n’est qu’à deux heures de route de mon domicile. Pour ma première visite en Sarthe deux ans plus tôt, nous logions chez des cousins au Mans. Ma petite lettre écrite à Jean Rondeau après sa victoire, et surtout sa réponse, avaient fini de me faire aimer cette course. Sans cette réponse, peut-être qu’aujourd’hui vous ne liriez pas ces lignes. Direction les 24H du Mans 1982 pour un week-end entièrement racing !

 

Quand tu arrives au Mans le samedi matin, et ce peu importe l’âge, il y a un rituel immuable : acheter Le Maine Libre et Ouest France. A cette époque, il était encore possible d’acheter les journaux directement sur les gradins avec des vendeurs qui passent parmi le public. La dernière page du Maine Libre est consacrée à la liste des engagés dans des petits rectangles. L’enceinte générale coûtait 150 francs et le supplément stands non concurrents et parcs des ravitaillements 54 francs. Mon père travaillant dans l’automobile, il avait chaque année un accès dans la loge Elf Antar qui surplombait les stands. L’accès y était possible à partir du samedi 17 heures. Cette année-là, nous étions conviés dans la loge au-dessus du stand de la Rondeau M382 ‘Kickers’ de Christian Bussi, Pascal Witmeur et Bernard de Dryver. Ce même Pascal Witmeur qui est devenu un ami quatre décennies plus tard et que j’ai quasiment chaque semaine au téléphone pour différents sujets. Une fois les journaux achetés, direction le parc concurrents pour approcher les bolides installés sous des tentes. On a l’impression de faire partie de l’aventure tant les machines sont proches. Chaque équipe y va de ses ultimes réglages avant l’heure H. En supporter de Jean Rondeau, c’est là que l’on passe le plus de temps. C’est l’époque du sponsor OTIS qui pour moi n’est pas (même encore en 2022) une marque d’ascenseurs mais LE partenaire de Jean Rondeau. J’ai un oncle qui faisait partie des dirigeants chez Otis et pour moi il travaillait chez Rondeau. A chaque fois que je prends un ascenseur, cela me rappelle 1982.

 

Le paddock sentait la graisse, la mécanique. Malheureusement, quand tu es gamin, tu ne te souviens pas de tout mais quand même. Il y avait une séance d’essais de 45 minutes le samedi en fin de matinée. Au Mans, t’es capable de faire le pied de grue sur des gradins en plein cagnard sans broncher. La famille Bataille régale le public avec ses cascades en Fiat. Je ne vais pas revenir sur l’édition 1982 que tout le monde connaît. Les Porsche 956 officielles sont magnifiques. Quelques années plus tard, mes premières cigarettes fumées étaient des R*****. Je vous laisse imaginer la raison. Vivement 17h pour aller faire un tour dans la loge sur le stand de la #38. On est encore plus proche de l’action et on peut passer la tête pour voir la voie des stands. Cette loge, elle est pour les grands, pas pour les gamins de mon âge. L’endroit est bruyant mais tellement sympa avec des jambes qui tombent sur les vitres. Une heure plus tard, nous sommes sur les balcons de ravitaillements avec à notre tour les pieds qui pendent dans le vide. Une autre époque !

 

Nous passons notre temps entre les parcs des ravitaillements et le village. Cet ancien village ombragé qui me rappelle tant de souvenirs d’enfant. Ces noms vont vous rappeler quelque chose : Martini, Chrysler Simca, Garczynski, Antar, Les Comptoirs Modernes, RNUR, Allée Durand, Allée Coquille, Place Pininfarina, Allée Singher, Allée Faroux, Restaurant des Pilotes, Podium Europe 1, etc…  A cette époque, il était psosible de récupérer des classements dans les bacs à l’entrée du Welcome à l’intention du public. Les petites boutiques étaient nombreuses et j’ai le souvenir d’avoir acheté un paquet de badges (avant les pin’s, on appelait cela des badges) des différentes voitures. Il y avait encore pas mal d’endroits ombragés. Je garde des souvenirs incroyables de cet ancien village.

 

Avant d’aller diner à la voiture, c’est un passage sur les parkings pour admirer quelques belles voitures. De 1982 à 2000, le rituel était le même. Le début de soirée était consacré à une visite du musée situé dans le circuit (prix d’entrée 35 francs) avant un passage par le Welcome où il est possible d’approcher la piste. On attend les Rondeau à passer et la WM aux couleurs Heuliez (Heuliez est à 40 km de chez moi). La nuit approche, on marche, on marche et on marche encore jusqu’à la Dunlop. Je pensais qu’en traversant la passerelle Dunlop, il était possible de regarder par-dessus pour voir la piste. Quelle tristesse de voir que ce n’était finalement pas possible. La fête foraine est incroyable même si j'ai du mal à comprendre le panneau qui indique l'attraction de la femme aux trois seins. 

 

La nuit est courte, très courte. Retour sur les gradins vers 4h du matin où il fait bien frais. On regarde ces pilotes qui tournent inlassablement. Au petit matin, la première chose à faire est d’acheter le journal avec sa liste des engagés barrée des abandons. Il faut se frayer un chemin dans les gradins parmi les dormeurs. En regardant passer les voitures qui continuent d'enchaîner les tours, on se rend vite compte qu'elles n'ont plus les mêmes couleurs qu'au moment du départ. L'ambiance y est particulière car le dimanche matin, la course tire à sa fin et il faudra attendre un an avant de revenir, avec comme mission de travailler à l'école pour espérer fouler à nouveau ces gradins. Un an, c'est long ! 

 

Le dimanche matin, il y a toujours cette virée à Arnage et à Mulsanne pour voir les concurrents sous un autre angle. Pour cela, il faut reprendre la voiture, une voiture qui est pleine de poussière. Quand on est gamin, on veut tout ramener de cette course : des autocollants, des affiches, des photos, des enregistrements de Radio 24H, de la terre des gradins et surtout des souvenirs. Dans les années 80, pas de réseaux sociaux, pas d'Internet, pas moyen de rester connecté avec cette course de juin à juin. Il faut donc en profiter un maximum. 

 

Arriver à Mulsanne est synonyme de 24 Heures du Mans. Il y a encore le panneautage de l'autre côté de la piste. Les esprits sont fatigués, les jambes tirent.   Quand on quitte Mulsanne, on sait que c'est terminé ou presque. 

 

Toutes ces émotions vécues au Mans quand on est minot, tout le monde sait de quoi je parle. Tous les gamins qui sont allés en famille un jour aux 24H du Mans ont ramené des milliers de souvenirs. Combien d'entre nous sont maintenant passés de l'autre côté du grillage ? Cette passion est devenue un métier passionnant... 

 

 

 

 

Commentaires (5)

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FastLM

4 juin. 2022 • 15:55

Un grand merci Laurent de nous faire revivre tout cela. 1982 c'est ma première année au Mans, j'avais 7 ans et moi aussi il fallait que mes résultats scolaires soient bons :-) Bref, tout ce qui est écrit ici correspond traits pour traits à mes souvenirs d'enfance.
Demain matin je prendrais le volant pour me rendre aux 24H pour la 37ème fois en 40 ans ! Et toujours avec autant d'envie et de passion !

MichelVaillant

4 juin. 2022 • 16:01

Cet article démontre combien les 24 Heures du Mans et leur ambiance unique ont marqué des générations, avec une trame commune quelque soit l'époque.
Mes 24 Heures d'enfance à moi sont celles de la première moitié des années 2000, mais l'expérience reste similaire. C'était l'époque des Audi R8, des superbes Bentley Speed 8, et des redoutables Corvette. L'époque -encore- de Pescarolo et de Courage.
J'ai quelques souvenirs du vieux village, avec ses boutiques en bois vertes et ses allées ombragées sous les platanes (rendez-nous les arbres !!). Les anciens stands, eux, n'existaient déjà plus depuis longtemps, je ne les ai jamais connus.
Les 24H, au delà d'une course, c'est tout une ambiance, avec un air de vacances, si appréciable quand on est enfant : les supermarchés et boutiques du Mans décorés de bottes de paille et de drapeaux à damiers. Les nombreux touristes étrangers, les campings aux installations improbables (piscines gonflables, bus de la Royal Air Force). Les supercars hors de prix garées un peu partout.
Quelques années plus tard, c'était les dernières heures de cours de l'année séchées pour aller au pesage, en face du lycée. Plus tard encore, les soirées d'après-parade des pilotes, le vendredi, lorsque Le Mans ressemble à un énorme jeudi soir universitaire. Et puis, aller au travail en passant sur les Hunaudières, Radio Le Mans dans l'autoradio, faire un dernier tour de circuit le dimanche soir en voyant les marques de gomme sur la piste redevenue simple départementale pour un an...

patricemenochet@sfr.fr

4 juin. 2022 • 18:53

Merci Laurent pour ce récit - il y a beaucoup de similitudes entre ce que tu as vécu et ce que j'ai découvert lors de ma 1ère fois au Mans avec mes parents - pour ma part j'ai du ensuite attendre mes 18ans (le permis et la voiture) pour découvrir des endroits magiques comme Mulsanne, Arnage, Indianapolis, ..., et la fête foraine.
Nous sommes sans doute nombreux à être passé de l'autre côté du grillage pour vivre notre passion - alors vivement demain et toute le semaine prochaine.

tet2lar

4 juin. 2022 • 22:34

Ah les anciens stands avec les pieds dans le vide : Toute une époque ! Après avoir suivi la course toute la nuit, j'avais souvent peur de m'endormir et de tomber sur la pit lane.

ericlaboisse@gmail.com

5 juin. 2022 • 4:05

Salut Laurent
Mon père travaillait chez Otis également et j'avais eu la photo dédicacée de Jean Rondeau et Jean Pierre Jaussaud pour mon 14ème anniversaire en 1981, mon père étant venu me réveiller en pleine nuit du dimanche pour aller aux 25+4H dans la loge au dessus de celle qui allait finir 3ème ?
En 1982, nous étions allés toute la famille pour le départ.
Les Rondeau aux couleurs Otis restent à mes yeux les plus belles bien évidemment ?