Auto

Renaud Dufour : "Il n'y a pas de science de la stratégie"

Featured
14 juin. 2019 • 9:28
par
lm@endurance-info.com

Avoir la responsabilité d’une voiture en tant qu’ingénieur sur une course d’endurance oblige à une vigilance extrême. Si votre voiture gagne, on se souviendra que c’est grâce aux pilotes. Si elle perd, on pourra remettre la stratégie en cause. La seule personne dans un stand qui ne ferme pas l’œil de la nuit sur une course d’endurance est l’ingénieur qui met en place la stratégie. Nous sommes allés à la rencontre de Renaud Dufour, l’ingénieur bien connu qui officie chez Black Falcon. Réputé pour ses compétences, l’ingénieur français a commencé aux 24 Heures du Mans et 24 Heures de Spa en 2005, à chaque fois chez Seikel Motorsport. Ses débuts aux 24 Heures du Nürburgring remontent à 2010 sur une Peugeot RCZ alignée par Graff.  Nous avons voulu en savoir plus sur les différences de préparation entre les trois courses d’endurance majeures en Europe. 

Laquelle est la plus compliquée à gérer des trois grandes courses ?

« La plus physique reste les 24 Heures du Mans. J’ai officié en 2018 dans la catégorie LMP2 chez Graff où il fallait faire beaucoup plus d’arrêts qu’en GT3. Il faut toujours être attentif. La semaine du Mans est physiquement plus éprouvante. On termine les essais à 2 heures du matin deux soirs de suite et la course arrive vite. Spa et le Nürburgring ont sensiblement la même préparation. Au Nürburgring, la stratégie est moins prépondérante car il faut plus de chance. Il faut tout faire pour être devant, ce qui minimise la malchance et la longueur du circuit laisse plus de temps pour réagir. »

On peut encore parler de courses d’endurance ?

« Spa et Le Mans ressemblent de plus en plus à des sprints de 24 heures même si Spa est encore plus typé sprint que Le Mans. Le Nürburgring peut être considéré plus comme une loterie. A Spa, si les procédures sont toujours les mêmes, il n’y a pas de souci. Il faut que la course soit bien gérée comme ces deux dernières années. Le Mans a quelques similitudes avec Spa. Le souci du Mans reste la gestion des slow zones. Il est possible d’en prendre plus que les autres. »

La pression est toujours la même malgré l’habitude ? 

« Au fil des ans, on arrive avec moins de pression. Je me suis dit pendant longtemps qu’il fallait beaucoup de préparation. Il faut une boîte à outils et travailler autour. L’expérience est importante. J’ai pensé assez longtemps qu’il existait une science de la stratégie, mais finalement je ne pense pas qu’il y ait la moindre science sur le sujet. On ne peut pas écrire la moindre feuille de route. Personnellement, j’ai toujours été sensible aux courses de 24 heures sur le plan de la fatigue. »

Pourquoi ne pas partager la stratégie sur une course de 24 heures ?

« Ce serait bien d’être épaulé pour dormir un peu. Tu utilises ton cerveau un certain nombre d’heures et ensuite il commence à fatiguer. Beaucoup de courses de 24 heures se jouent dans la dernière heure, voire même dans le dernier tour. Il faut prendre les décisions qui s’imposent. On nous met de plus en plus dans un moule, de plus en plus de choses sont limitées. En GTE, il faut respecter un certain nombre de tours, ce qui est aussi le cas au Nürbugring. A Spa, un relais ne pas excéder 65 minutes. »

La stratégie s’amenuise au fil du temps ?

« Attention, cela ne veut surtout pas dire que c’est plus facile. Il y a toujours autant de possibilités de faire de la stratégie, mais la façon de raisonner n’est pas la même.  Selon moi, le sport auto a pris un virage en 2005. On a limité les essais, ce qui a donné plus de travail d’étude des données aux pilotes où il a fallu mieux comprendre le fonctionnement des pneus. Une marche a été franchie sur la façon de travailler. ASM et SG Formula ont beaucoup travaillé le sujet, bien au-delà du set up. Il fallait comprendre comment l’auto fonctionnait. Avant, on roulait tout le temps et partout. Cette année, avec Black Falcon, nous avons roulé deux jours au Paul Ricard avant le début de saison et c’est tout. Dans le passé, c’était au moins deux journées sur chaque circuit durant l’hiver. »

Et les Etats-Unis ? 

« Pour une course de 24 heures aux Etats-Unis, il faut déjà quelqu’un qui parle parfaitement la langue pour ne rien laisser au hasard. Personnellement, je ne me sens pas aussi à l’aise là-bas car les réflexions ne sont pas les mêmes. On ne peut pas en une seule course être aussi calé qu’en Europe. »

Le travail sur le muret a encore du sens ? 

« Cela occasionne plus de fatigue et pas vraiment d’intérêt. Au Nürburgring, on passe la course dans le camion et à Spa dans le stand. C’est plus confortable pour échanger. » 

Finalement, seul l’ingénieur ne ferme pas l’œil dans une équipe ? 

« Il n’y a que les ingénieurs qui ne dorment pas. Il m’est arrivé que ma voiture abandonne en début de course, j’ai pu dormir une heure avant d’aider à la mise en place de la stratégie sur l’autre voiture de l’équipe. Cela n’avait rien à voir niveau fraîcheur d’esprit. Travailler pour un constructeur offre plus de sécurité car il y a plus de monde pour prendre les décisions. Dans une équipe privée, une seule personne est aux commandes. »

Vous consommez beaucoup de café ?

« Je ne bois pas de café, je mange peu mais régulièrement. » 

Commentaires

Connectez-vous pour commenter l'article